dimanche 18 janvier 2009

Un homme nommé Gump!

Parler à propos d'un record insolite comme celui d'André Lacroix m'a fait penser à un des gardiens de buts les plus spectaculaires de tous les temps et qui possède un record plus ou moins enviable. Le protagoniste est nul autre que le grand Lorne "Gump" Worsley, tenancier du record du plus grand nombre de défaite en carrière. Mais la question à se poser est à savoir si ce genre de record est réellement un record de perdant? Selon moi non, parce qu'il faut en gagner pas mal avant afin d'être le plus grand perdant de tous les temps. Bien qu'au terme de sa très longue carrière échelonnée sur plus de 20 ans il aligna plus de défaites (352) que de victoires (335), Mais Gump Worsley n'est surtout pas un perdant selon moi! Un gardien possédant le record du plus de défaites en une saison est un perdant, Gary Smith en 1970-71 avec les Golden Seals de la Californie avec 48 défaites, pas celui qui accumula le plus de défaites en carrière... Donc voici une courte présentation sur Gump!

Lorne Worsley est né en 1929 à Pointe-St-Charles, quartier ouvrier du sud-ouest de Montréal. Très tôt, le Gumper fut introduit au hockey par son père, lui-même grand fan des Maroons de Montréal, équipe à prédominance anglophone de Montréal. Lorsque l'équipe disparut en 1936, Worsley devint un fervent fan des Rangers de New York, alors une puissance de la ligue. La raison est que son joueur préféré d'enfance, Dave Kerr, gardien qui fut dans les filets de Rangers lorsqu'ils remportèrent la coupe Stanley en 1940 et qui remporta le Vézina la même année, fut un Maroon auparavant. Après un long parcours un peu partout en Amérique, de New Haven à Edmonton en passant par St-Paul et Saskatoon, Gump arriva enfin avec ces mêmes Rangers pour la saison 1952-53. Cette année-là, malgré une fiche peu reluisante de 13-29-08, Worsley remporta le trophée Calder. Gagner ce trophée avec une fiche aussi médiocre démontre le côté explosif du jeune gardien. L'année d'après, Worsley passa une saison dans les mineures pour les Canucks de Vancouver de la WHL, devenant le seul récipiendaire du trophée Calder n'ayant pas joué un seul match dans la grande ligue. Apparemment la raison principale était qu'à la suite de son titre de recrue de l'année, Gump demanda une augmentation de 500$ qui lui fut refusée... Worsley subit dès lors une de ses nombreuses blessures sévères, cette fois au dos, qui faillit lui coûter sa jeune carrière. Néanmoins, la saison d'après (1954-55), le Gumper su se tailler une place sur Broadway d'une manière permanente, place qu'il allait tenir jusqu'à son échange aux Canadiens, 9 saisons plus tard.

Il faut dire que se tailler une place de gardien de but dans la NHL des six équipes même pour une équipe médiocre comme les Rangers de New York de l'époque était une tâche colossale. À six équipes, seulement six gardiens étaient réguliers dans la NHL, maintenant ils sont 30! La saison où Worsley devint le gardien régulier des Rangers, en 1954-55, il eut à se battre avec d'autres excellents gardiens pour devenir le cerbère de l'équipe dont Johnny Bower. Bower fut le gardien partant des Rangers en 1953-54. Il débuta dans la NHL à cette saison après une longue carrière de 8 saisons dans la Ligue américaine, notamment avec les Barons de Cleveland originaux. Il allait y retourner 4 autres saisons après celle de 1953-54 avant d'être réclamé par les Maple Leafs et de devenir le légendaire gardien dont on se rappelle. Comme quoi avant de devenir un gardien de but régulier de la NHL dans cette époque était une marche parfois de longue haleine. D'ailleurs, la liste des gardiens de buts ayant été la propriété des Canadiens et n'ayant jamais joué un seul match à l'époque de Jacques Plante est assez incroyable à ce niveau.

Juste pour dire comment les Rangers étaient mauvais à l'époque, entre les saisons 1942-43 et 1966-67, soit les 25 saisons qui sont considérés comme l'ère des "Original Six", les Rangers n'ont fait les séries éliminatoires seulement qu'à 7 reprises. Donc Gump Worsley est arrivé en plein milieu de ce brouhaha mais a su faire une certaine différence, puisqu'il était devant la cage des Rangers à 4 des 7 présences en séries de ces derniers en 25 saisons. C'est bien sûr avec le Canadien par contre que Gump devint un gagnant.

Par exemple, en 10 saisons avec les Rangers, Worsley ne connut que deux saisons avec une fiche au dessus de 500 alors qu'il n'en connut aucune en dessous de la barre des 500 dans l'uniforme des Canadiens. Il fut donc échangé aux Canadiens en 1963 en compagnie de 3 joueurs en retour de Jacques Plante, Phil Goyette et Don Marshall. Les Canadiens étaient quand même assez bons à l'époque pour se débarrasser de leur joueurs en fin de carrière en les envoyant à New York. Ainsi, non seulement à cette époque Plante fut envoyé à New York, mais Boom Boom Geoffrion et Doug Harvey furent également envoyés à New York de cette manière. Dickie Moore également, mais il refusa de jouer pour eux car il ne pouvait considérer pour une autre équipe que les Canadiens et prit sa retraite.  (Il allait jouer une autre saison à Toronto deux ans plus tard en 1964-65 et à St-Louis en 1967-68.)

C'est également avec les Rangers qu'une des anecdotes les plus drôles à propos de Gump survinrent. Une des choses que j'ai toujours aimé de Gump Worsley, c'est qu'il ne ressemblait pas à un sportif de haut niveau, il était petit, bedonnant, il n'avait pas l'air en santé du tout, mais il faisait la job et il l'a fait longtemps. Alors qu'il évolua avec les Rangers, le coach Phil Watson lui passa un commentaire du genre : "Tu ne peux pas garder des buts au hockey, t'as ben trop une bedaine de bière" pour lequel Gump lui répondit genre : "Franchement, je ne bois pas de bière, je bois juste du rye." En tout cas, moi je trouve ça drôle... (J'ai lu des fois où Gump parlait par rapport à cette anecdote de Johnnie Walker et parfois de VO, alors la seule chose qu'on peut conclure c'est qu'il buvait du fort...) On a également déjà demandé à Worsley à cette époque quelle équipe lui donnait le plus de problèmes sur glace auquel il répondit "les Rangers de New York ..."

Worsley subit également de très sévères blessures dans l'uniforme des Rangers qui influencèrent ses premières années avec les Canadiens. Il se blessa notamment au genou en 1956, ce qui nécessita une opération. Mais le pire lorsqu'il fut atteint par un tir probablement redoutable comme seul Bobby Hull pouvait le faire. Gump sombra dans un coma où lorsqu'il se réveilla il passa un commentaire du genre "Une chance que ça m'a atteint du côté plat de la rondelle..." Il rencontra par la suite beaucoup de problèmes de santé. Il faut dire que le style du grand gardien allait de paire avec des blessures chroniques...



Mais lorsque Gump Worlsey arriva à Montréal, il eut à affronter à nouveau la difficile compétition pour devenir numéro un et qui allait se doubler avec le fait de venir jouer dans sa ville natale pour une équipe qui, comparativement à ses années de jeunesse, était une force de la NHL. Il faut dire que dans la jeunesse de Worsley, les Canadiens étaient dans la plus grosse disette de leur histoire après celle que nous vivons présentement, passant 12 saisons sans remporter la Coupe Stanley. Suite au départ de Jacques Plante, la place de gardien était libre au sein de l'équipe et les prétendants se présentèrent en grand nombre afin de garder la cage de la Sainte-Flanelle. C'est Charlie Hodge qui était dans l'organisation du Canadiens depuis près D'une décennie qui obtint finalement poste de gardien numéro un pour la saison 1963-64, lui qui n'avait pas joué un match avec le CH depuis la saison 1960-61. Hodge profita de la chance qui lui fut donné, lui qui remporta le trophée Vézina la même année. Malgré que l'occasion de jouer finalement pour une équipe gagnante fût présente, Gump se blessa au genou à l'aube de la saison et prit pour sa part le chemin de Québec où il évolua pour les Aces de la Ligue américaine. Il débuta la saison 1964-65 à Québec mais fut finalement rappelé à la mi-saison où il prit les rênes devant la cage allant jusqu'à mener les Canadiens vers leur première Coupe Stanley en 5 ans. Il ne retournera plus jamais de sa carrière dans les mineures.

Une autre très bonne anecdote à propos des blessures de Gump survint lors de la finale de 1965 où Gump afin de s'assurer d'une performance contre les puissants Black Hawks, demanda de prendre un médicament afin de limiter les dégâts sur son corps. On lui prescrivit alors une sorte de drogue de cheval dont il fallait demander la permission au gouvernement fédéral à Ottawa pour la consommation chez les humains (seulement les chevaux pouvaient en prendre!). Gump joua donc le 7e match de la finale défoncé sur une drogue de cheval où apparemment toute la zone du Canadien sentait littéralement l'haleine de cheval de Gump. Néanmoins Gump toucha à la coupe pour la première fois, même s'il était probablement dans les vapes! Mais les Canadiens remportèrent le match 4-0...

Mais Worsley était fait pour la victoire. On peut le voir dans les vidéos d'époque alors que notre gardien préféré (il est un des miens en tout cas!) montre clairement sa frustration après s'être fait marqué un but. On voit souvent ça chez les grands gardiens de but, la haine de la défaite. Worsley était très bon pour lancer la rondelle dans la foule après s'être fait marquer contre lui. Ça montre que c'était un gardien qui n'aimait pas perdre. Et cette attitude de la part de Worsley lui attira beaucoup de fans alors qu'il montrait qu'il était un gagnant avec une équipe gagnante. Je crois que les gardiens aussi intenses à ce niveau sont des gardiens comme Tony Esposito et Patrick Roy...

Donc ayant renoué avec la victoire, Worsley devint un joueur clé de ce qui est maintenant appelée "La dynastie oubliée" des Canadiens. Comparer cette dynastie de 4 Coupes Stanley en 5 ans coupée en deux par une défaite crève-cœur en 1967 avec les dynasties des années 50 et des années 70 est toujours un peu étrange. La dynastie des Canadiens des années 60 rappelle quand même celle des Oilers des années 80, on ne lui donne pas le titre officiel de dynastie, mais la domination à long terme était indéniable. Cette dynastie représentait également une sorte de mélange de vétérans des championnat des années 50 comme Claude Provost, Jean Béliveau et Henri Richard donnant le flambeau aux Serge Savard, Yvan Cournoyer et autres joueurs qui formeront celle des années 70. Une sorte de transmission de l'excellence. Worsley pouvait également compter sur une ligne bleue assez redoutable avec des joueurs comme Jacques Laperrière et Jean-Claude Tremblay à la défense.

À la saison 1965-66, Worsley devint le gardien numéro un du CH et en plus de mener l'équipe à sa seconde Coupe Stanley d'affilée, Worsley remporta son premier trophée Vézina qu'il partagea avec Hodge. Ils partagèrent le Vézina parce qu'il fut remis jusqu'au début des années 80 au tandem de gardiens ayant la plus basse moyenne, chose auquel le trophée William M. Jennings est remis de nos jours. Worsley allait remporter le trophée à nouveau en 1968 et cette fois en compagnie du jeune Rogatien Vachon.

Bien que Worsley se montra d'un remarquable sang froid sur la glace, hors de la glace il avait un comportement plus qu'étrange. Il partageait notamment avec le directeur général Sam Pollock une peur maladive de l'avion. À l'époque des 6 équipes, le voyage en train était une chose commune, mais à la saison 1967-68 alors que 6 nouvelles équipes se joignirent à la NHL, il fallait désormais se rendre aussi loin que Oakland et Los Angeles. Worsley eut donc à se battre avec ses démons. Gump alla même jusqu'à consulter le psychologue de l'équipe afin de discuter de son problème et ce dernier lui recommanda de changer de métier. Lorsque Gump rencontra Sam Pollock et que le DG du Canadiens lui demanda ce que le docteur lui dit et que Gump lui fit part de la conclusion, le psy fut renvoyé subito presto! Et c'est en quelque sorte suite à un vol tumultueux entre Montréal et Chicago à la saison 1968-69 que Gump subit une sérieuse crise de panique qui nécessita des traitements psychiatriques qui lui firent manquer une partie de la saison. Il revint en janvier où il partagea le travail avec la jeune sensation Rogatien Vachon pour gagner la 4e coupe en 5 ans au printemps.

Worsley en avait en quelque sorte assez du hockey, notamment de voyager et au début de la saison 1969-70, il se retira du hockey. Plus tard au cours de la saison il reçu un appel de Wren Blair, directeur général des jeunes North Stars du Minnesota, qui lui dit qu'il avait la permission de lui parler de la part de Sam Pollock et qu'il voulait qu'il se joigne au Minnesota. il répondit alors qu'il avait 40 ans et Blair lui répondit qu'il le savait! À l'époque des expansions, un bon vétéran aguerri était toujours une perle afin de construire une équipe et Gump était ce que les Stars avaient besoin, d'un vétéran ayant connu la victoire afin de mener cette jeune équipe. Gump se joignit donc au Stars vers la fin de la saison 1969-70 où il allait former un redoutable duo de gardien avec Cesare Maniago. Sa retraite fut donc très brève...

Worsley joua donc quatre autres saisons au Minnesota. Gageons que la situation géographique du Minnesota fut un très bon argument pour convaincre Gump pour revêtir son équipement. Fini les vols Montréal-Los Angeles. Même dans la quarantaine et avec une équipe d'expansion, Gump connu de très bonnes saisons. Il termina par exemple la saison 1971-72 avec une remarquable moyenne de 2,12 buts par match et joua même au match des étoiles. Les North Stars prirent également part aux séries éliminatoires à presque toutes les saisons avec Gump devant le filet, s'inclinant même en demi-finale contre l'ancienne équipe de Worsley en 1971.

À sa dernière saison, en 1973-74, Gump se résigna et accepta finalement de porter un masque. Il joua seulement 6 matchs sur 861 dans la NHL avec un masque. Il ne fut cependant pas le dernier à porter un masque, un jeune gardien nommé Andy Brown qui ne joua que 62 matchs dans la NHL est reconnu pour avoir été le dernier à porter un masque la même saison.

C'est donc à l'âge vénérable de 44 ans que Worsley mis fin à sa longue carrière.

Il fut intronisé au Temple de la renommée en 1980.

Il mourut d'une crise cardiaque à son domicile de Belœil le 26 janvier 2007.



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