lundi 3 octobre 2016

Bob "Killer" Dill







J'ai bien aimé le film "Maurice Richard" (2005) de Charles Binamé. Je trouve qu'en tant que film de hockey c'est bien réussi alors que l'emphase est principalement mise sur le joueur et sur le hockey et non pas seulement sur sa vie personnelle. On a droit à quelques belles scènes de pur hockey recréées avec beaucoup de minutie. Disons que c'est meilleur que Lance et Compte où tu as droit à 95% de mélodrame insupportable pour 5% de hockey mal exécuté. Une des bonnes critiques du film disait que "Le Rocket" était le "Rocky" du hockey et je peux dire que c'est mérité comme comparaison.

Cependant ce film n'est bien sûr pas parfait. C'est un peu trop mielleux par moment et on tente un peu trop de peindre Richard en martyre. Je ne doute pas du fait que Richard ait été victime de plusieurs cheap shots et d'injustices durant sa carrière mais je me demande si certaines scènes ont été exagérées dans les faits et une scène m'avait particulièrement intriguée, la fameuse scène de Sean Avery...





Ici, le grand Avery joue le rôle de Bob "Killer" Dill des Rangers de New York. Selon le film, Dill est un pugiliste intraitable, un "descendant des deux meilleurs boxeurs de leur génération" et il a été banni à vie de la Ligue américaine pour avoir pratiquement assassiné un autre joueur. Toujours selon le film, il aurait été engagé spécialement par les Rangers pour neutraliser Richard pour ce match contre les Canadiens et ce match aurait prit des allures de match de boxe dans les médias qui invitaient les fans à venir voir un canadien se faire démolir au Madison Square Garden. Durant le match, Dill fait son entrée dans la ligue, ne sait pas patiner selon Elmer Lach (Mike Ricci) et se fait mettre K.O. deux fois par Richard qui prouve sa combativité légendaire devant le monde entier pendant que Dill semble disparaître à jamais.

Donc beaucoup d'éléments de cette scène m'intriguaient et j'ai pensé aujourd'hui vérifier quelques-uns de ces faits en retraçant la carrière de Dill par le fait même. 

Robert Edward Dill est né le 25 avril 1920 à Saint Paul au Minnesota. Il était le neveu de Mike et Tommy Gibbons, également nés à Saint Paul et deux ex-champions du monde en boxe (poids moyen et poids lours respectivement). Dill débuta sa carrière professionnelle comme défenseur avec les Clippers de Miami dans la très éphémère "Tropical Hockey League", la première tentative de hockey dans le sud des États-Unis (voir texte du 9 avril 2016). Il joua par la suite dans la Eastern Hockey League avec les Orioles de Baltimore et ensuite dans la ligue Américaine aux côtés d'Eddie Shore avec les Indians de Springfield. Il partagea ensuite la saison 1942-43 avec les Coast Guard Clippers de la EHL et avec les Bisons de Buffalo dans la AHL où il retrouva Eddie Shore, maintenant directeur général des Bisons.




Il était certes un joueur hargneux et agressif mais était tout de même capable de contribuer offensivement. Il fit d'ailleurs partie de l'équipe d'étoiles de la EHL en 1942-43. C'est toutefois durant la saison 1943-44 qu'il cimenta sa réputation de "Killer". Lors d'un match entre les Bisons et les Hornets de Pittsburgh, il s'en prit à l'arbitre Gordon Parsons après avoir écopé d'une pénalité. Parsons subit une fracture du nez et Dill fut suspendu indéfiniment par la ligue (et non pas banni à vie) le 3 janvier 1944. Quelques jours après, sa suspension fut annulée par la ligue alors qu'il fut obtenu par les Rangers de New York dans un échange impliquant (ironiquement) les Canadiens. Montréal étant le club-affilié aux Bisons, les Rangers envoyèrent 4 joueurs (Gord Davidson, Roger Léger, Harry Taylor et John Horeck) aux Bisons en retour de Dill qui joignit les rangs des Rangers pour le reste de la saison 1943-44 où il récolta 6 buts et 16 points en 28 matchs, ce qui pour un défenseur à l'époque était très respectable.





Selon mes recherches, la fameuse bagarre entre Dill et Richard eut lieu le 17 décembre 1944, soit lors de la deuxième saison de Dill avec les Rangers. Cette bagarre eut lieu donc beaucoup plus tard que ce que l'on prétend dans le film où on dirait plutôt qu'il s'agissait du premier (et seul) match de Dill avec les Rangers.

Cette fameuse bagarre fut aussi disputée par Dill et ses descendants. Il est vrai que Dill était un agitateur qui était craint à travers la ligue mais ce n'était pas la première fois que lui et Richard s'affrontaient et même avant de s'en prendre à Richard, il aurait eu Elmer Lach et Toe Blake comme cibles lors de matchs précédents à ce fameux match de décembre 1944.

Selon Dill et son fils Bob Dill Jr, il est vrai que Richard sonna Dill lors de cette bagarre mais il n'est pas vrai que Richard ait knock-outé Dill une seconde fois au banc des pénalités. Dill aurait également traité Richard de "frog" afin de le provoquer mais les deux joueurs ne se haïssaient pas pour autant. Dill Jr. raconte qu'il a rencontré Richard dans les années 80 lors d'un souper et que lui et Dill s'entendaient très bien. Richard lui-même lui a raconté qu'ils étaient allés prendre une bière après cette fameuse bagarre. Richard aurait aussi reçu une coupure au dessus le l'oeil durant la bagarre avec Dill, un autre détail omis dans le film où Roy Dupuis ne reçoit aucun coup de la part de Dill.


Maurice Richard & Bob Dill


Selon la légende, cette bagarre aurait sonné le glas de la carrière de Dill dans la LNH mais là aussi il y a distorsion de la réalité alors que Dill a terminé la saison avec les Rangers et a pratiquement joué tous les matchs. Les Bruins de Boston voulaient même faire son acquisition la saison suivante mais le directeur général des Rangers, Lester Patrick, préféra le rétrograder dans la USHL avec les Saints de St.Paul, sa ville natale. La vérité est que Patrick n'aimait pas le style sauvage de Dill et qu'il trouvait qu'il amassait trop de pénalités. Les Ranger croyaient que Dill, en tant que vedette locale, aideraient les Saints à avoir de meilleures assistances. Il est donc faux de dire que Dill fut employé par les Rangers seulement comme machine de guerre pour démolir Richard et les Canadiens. Dill Jr. va même jusqu'à dire que son père fut victime de préjugés de la part des Rangers alors qu'il était un des rares joueurs américains de la ligue à l'époque et que les américains étaient autant victime de racisme que les canadiens français selon lui. Dill déclara qu'il aurait pu jouer encore 5 ou 6 ans dans la LNH et en voulut longtemps à Patrick pour ce renvoi dans les mineures.


Dill avec les Saints de St.Paul (USHL)

Dill joua pendant 5 saisons à St.Paul et fut un des meilleurs défenseurs de la USHL où il fut élu deux fois sur l'équipe d'étoile de la ligue en plus d'aider les Saints à remporter le championnat en 1949. Il retourna retrouver son vieil ami Eddie Shore en 1951 avec les Indians de Springfield (maintenant dans la EHL) où il joua une dernière saison comme joueur-entraineur. Ce fut sa seule expérience comme entraineur mais occupa ensuite un poste de recruteur avec les Rangers, les Black Hawks et plus tard les North Stars.

Il fut introduit au temple de la renommée américain en 1979. En 76 matchs dans la LNH, il ammassa 15 buts et 15 passes en plus de 135 minutes de pénalité. Il mourrut en 1991.

En plus de sa carrière comme hockeyeur, Dill était également doué au baseball. Il joua de nombreuses saisons avec les Millers de Minneapolis au niveau AAA durant les entre-saisons de la LNH. Les Millers étaient affiliés aux Giants de New York et avaient entre autres formés de futures stars comme Ted Williams et Willie Mays. Les Giants voulaient même signer Dill à un certain moment mais les Rangers refusèrent cette signature, invoquant que le calendrier des deux ligues aurait créé des conflits d’horaire. Dill aurait été le premier (et le seul) américain à évoluer dans la NHL et la MLB et aurait précédé Bo Jackson comme sportif multi-disciplinaire. Il continua tout de même à jouer au baseball dans plusieurs ligues durant l'été jusqu'en 1949.


Dill avec les Millers de Minneapolis (AAA)

Donc j'espère avoir aidé à apporter quelques nuances au film et à la légende de Maurice Richard. Dill n'a jamais assasiné un joueur, n'a jamais été banni à vie de la ligue américaine et était plus qu'un simple goon en mission contre Maurice.



Sources:
US Hockey Hall of Fame
Hockey Hall of Fame
Minneapolis Post
Pittsburgh Post-Gazette  
Greatest Hockey Legends
Wikipedia
hockeydb.com
CBC.ca
Slap Shot! Yesterday's great hockey heroes - Ross R. Oiney 
Town Ball: the Glory days of Minnesota amateur baseball - Armand Peterson, Tom Tomashek 
Baseball in Minnesota: the definitive history - Stew Thornley

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