mercredi 14 juin 2023

La famille Staline et le hockey




 

Vasily Iosifovich Staline est né le 21 mars 1921 à Moscou, un an avant que son célèbre père, Joseph Staline, ne devienne le successeur de Vladimir Lénine à la tête de l'URSS. Il était le deuxième enfant de Joseph, et premier de son deuxième mariage. 

Son enfance fut difficile alors qu'il fut largement ignoré par le père et même la mère, Nadezhda Alliluyeva, qui refusait de se soumettre aux ordres de Joseph de rester à la maison pour s'occuper des enfants. Vasily fut donc élevé principalement par des bonnes et des gardes du corps. En 1932, après une dispute entre les deux parents, Nadezhda fut retrouvée morte, s'étant suicidée par arme à feu. Les enfants Staline, soit Vasily et sa soeur Svetlana, furent induits en erreur pendant 10 ans avant de savoir la vérité sur la mort de leur mère, croyant jusque là qu'elle était morte d'une appendicite. La mort de sa mère eut un profond impact sur Vasily, qui commença à boire abondamment dès l'âge de 13 ans et qui ne vit que très rarement son père par la suite, lui qui le trouvait indigne.

Élève moyen sinon médiocre et turbulent à l'école, Vasily débuta son service militaire à 17 ans et commença à servir au front en août 1941 sous le nom de famille de Ivanov, pour dissimuler son identité. Mais ses supérieurs, voulant attirer la faveur du père, l'envoyèrent rarement au combat et lui donnèrent des promotions rapides et probablement non-méritées. Il abattit toutefois au moins 2 avions au combat. Il devint à 24 ans le plus jeune majeur-général de l'Armée rouge. 
 

Après la deuxième guerre mondiale, il commença à cultiver un intérêt pour le sport, particulièrement le hockey. Il participa à la création d'une équipe pour représenter les forces aériennes russes, le VVS Moscou, dont il devint président et directeur-général.
 
Logo du VVS Moscou
L'équipe débuta dans la ligue de championnat de Russie dès la saison 1946-47, première saison de l'histoire de la ligue. Anatoly Tarasov, surnommé le «père du hockey Russe» et futur créateur de la puissante équipe nationale de Russie, y débuta sa carrière comme joueur-entraîneur. 
 
Mais après une seule saison, Tarasov se disputa avec Vasily Staline et quitta l'équipe pour aller fonder le légendaire club du CSKA Moscou, qui deviendra le principal rival du VVS. 
 
Ces deux équipes représentant l'armée russe se livreront alors leur propre guerre interne de recrutement (parfois forcé) et de pillage de joueurs des autres clubs de la ligue. Vasily utilisa particulièrement son influence et son prestige pour parvenir à ses fins, comme par exemple le recrutement entier du premier trio d'un autre rival, le Spartak Moscou, au début de la saison 1948-49.

Lors de la saison 1949-50, Stalin continua son recrutement agressif en soutirant un joueur du nom de Viktor Shuvalov, joueur vedette du faible club du Dzerzhinets Chelyabinsk, en plus de celui qui était considéré comme le meilleur gardien de la ligue, le letton Harijs Mellups, qui venait de remporter le titre de gardien de l'année lors des trois saisons précédentes avec le Dinamo de Riga.
 
Vsevolod Bobrov avec le VVS Moscou

 
Mais le meilleur coup de Staline fut envers le CSKA en leur soutirant Vsevolod Bobrov, celui qui est considéré comme la première supervedette du hockey russe, et qui était d'ailleurs aussi une vedette au bandy et au soccer. Bobrov termina sa carrière avec 254 buts en 130 matchs, et fut plus tard comparé à Wayne Gretzky par Tarasov lui-même. Cependant, Bobrov était en froid avec ce dernier à cause de son jeu défensif, et accepta avec joie de joindre le VVS. Il deviendra un grand ami de Vasily Staline, qui organisait apparemment de grandes beuveries extravagantes en honneur de son joueur vedette après chaque match. 
 
Un film biographique fut même réalisé à partir de cette histoire en 1991, intitulé «Mon meilleur ami, le général Vassili, fils de Joseph», que je vous inclus intégralement ici parce que je l'ai trouvé sur YouTube... Je comprends rien de l'histoire mais ça a un peu l'air d'un «Lance et Compte» russe...



Bobrov deviendra joueur-entraîneur durant cette saison 1949-50 suite au renvoi de l'entraîneur précédent après quelques matchs. La puissante équipe de Staline avait donc en vue de remporter son premier championnat et de freiner la domination du CSKA, champion lors des deux années précédentes.

Cependant, le sort en fut tout autrement. Le 7 janvier 1950, l'équipe prit l'avion pour un match à Chelyabinsk. Les conditions météo étaient très mauvaises et l'avion dut plutôt tenter d’atterrir dans la ville voisine de Sverdlovsk (aujourd'hui Ekaterinbourg). L'entreprise échoua toutefois, et l'avion s'écrasa, tuant l'entièreté des 19 passagers à bord dont 11 joueurs du VVS, ainsi que le docteur et le massothérapeute de l'équipe. Trois joueurs éviteront toutefois la mort; Bobrov, Shuvalov et le défenseur Alexander Vinogradov. Ce dernier était suspendu pour s'être battu, tandis que Shuvalov avait été ordonné de ne pas jouer ce match contre Chelyabinsk par Staline lui-même qui voulait éviter les représailles violentes de la part des fans de l'ancienne vedette locale. L'équipe avait auparavant subi des représailles du genre après le vol du premier trio du Spartak l'année précédente. Bobrov pour sa part, aurait manqué le vol car il s'était réveillé trop tard et n'avait pas entendu son alarme. Il était en voyage en train lors de ces événements...

Parmi les joueurs décédés, on trouvait ce premier trio d'ex-Spartak discuté précédemment, qui était constitué de Ivan Novikov, Zdenek Zigmund, ainsi que Yuri Tarasov, qui était le frère du célèbre Anatoly. Le gardien Mallups fut lui aussi parmi les victimes, lui qui n'avait que 23 ans et qui était devenu père la semaine précédente et qui n'aura jamais pu voir son fils. Il recevra un autre titre de gardien de l'année, cette fois malheureusement à titre posthume.




Comme on était en pleine ère de communisme stalinien, le jeune Staline voulut complètement étouffer l'affaire, ne voulant pas que son père et le public soient au courant. Aucune mention de l'écrasement ne fut publiée dans la presse, les familles des joueurs furent laissés dans l'ignorance et les corps furent enterrés à la va-vite dans une fausse commune près du lieu de l'écrasement.

Et ne voulant pas que s'ébruite la disparition de ses joueurs manquants, Staline reconstruisit rapidement son équipe et parvint malgré tout à lui faire jouer ce match contre Chelyabinsk et le reste de la saison en remplaçant la majorité des joueurs décédés par des joueurs au même nom de famille...
 
Donc, lors de ce qu'on pourrait appeler un repêchage d'expansion digne de la «Twilight Zone», Staline trouva apparemment d'autres joueurs aux noms de Novikov, Zigmund, Tarasov, Moissev, etc...  
 
Pavel Zhiburtovich
Même que l'attaquant Yuriy Zhiburtovich fut remplacé par son frère, Pavel Zhiburtovich... qui ignorait probablement le sort de son frère. 
 
Il n'y avait cependant pas que des «faux joueurs» désormais avec le VVS alors qu'un des remplaçants à la défense pour l'équipe fut une autre figure légendaire du hockey russe, soit Viktor Tikhonov, futur entraîneur de l'équipe nationale et du CSKA. J'ignore toutefois si Tikhonov remplaça un autre joueur avec son véritable nom ou un nom «d'emprunt»...
 
Avec cette équipe «reconstituée» mais toujours puissante avec l'apport (et surtout présence divine) de Bobrov et Shuvalov, le VVS Moscou remporta ce match contre Chelyabinsk par la marque de 8-3. Pour éviter des soupçons supplémentaires ou pour se protéger, Staline ordonna aux annonceurs et à la presse de ne publier le sommaire qu'avec seulement les noms de famille des joueurs, sans prénom. Apparemment que Staline père n'a effectivement jamais eu bruit de cet écrasement.
 
La saison s'achevait toutefois et le VVS termina avec une fiche de 16-5-1 en 22 matchs, bon pour le 4e rang de la ligue, baissant de nouveau pavillon contre le CSKA qui termina au premier rang. Staline et le VVS Moscou se relevèrent toutefois de cette saison mouvementée avec la dominance de son premier trio toujours composé de Bobrov, Shavalov ainsi que Yevgeny Babich, un autre joueur vedette soutiré du CSKA et ami de Bobrov. Staline régla également le trou laissé dans les buts avec la mort de Mallups en volant de nouveau le CSKA avec le recrutement de Grigory Mkrtychan.
 
Bobrov termina cette saison 1950-51 avec 43 buts en 15 matchs (!) et le VVS Moscou remporta le premier championnat de son histoire, ainsi que les deux saisons suivantes.
 



Cependant, après ces trois championnats consécutifs, Joseph Staline subit une hémorragie cérébrale et mourut 4 jours plus tard, le 5 mars 1953. Il fut aussi spéculé qu'il aurait été empoisonné par des membres de son équipe politique, une thèse hautement secondée par Vasily lui-même, qui lors d'un épisode de rage et d'état d'ébritété avancé, aurait insulté les docteurs et les officiels présents. Il arrêta aussitôt ses fonctions au sein du VVS qui fut ensuite dissout et intégré au CSKA suite à l'arrivée du successeur de Staline, Nikita Khrouchtchev, et le début de la «déstalinisation». 
 
Ne pouvant plus profiter de la protection que son nom de famille lui avait jusque-là procurée, Vasily fut forcé de se retirer de l'armée russe et il fut peu après arrêté le 28 avril 1953 suite à une visite au restaurant avec des diplomates étrangers. Il fut accusé de propagande anti-soviétique et condamné à 8 ans de prison, qu'il servit sous le nom de Vasily Pavlovich Vasilyev pour éviter toute tentative de représailles contre lui. Ayant pitié de lui, Khrouchtchev le libéra en 1960 et lui rendit ses médailles militaires. Il mourut toutefois dans un certain anonymat assombri d’un profond alcoolisme le 19 mars 1962, 5 jours avant son 42e anniversaire.

Après la dissolution du VVS Moscou, Vsevolod Bobrov rejoignit les rangs du CSKA en compagnie de Shavalov et Babich qui continuèrent leur dominance du hockey soviétique. Les trois firent d'ailleurs partie de l'équipe nationale aux Olympiques de 1956, avec Bobrov comme capitaine, et ramenèrent la première médaille d'or olympique de la Russie de ce tournoi, commençant officiellement la domination russe à l'échelle internationale. Bobrov mena le tournoi avec 9 buts.


Yevgeny Babich, Viktor Shuvalov et Vsevolod Bobrov


Après sa retraite comme joueur, Bobrov devint entraîneur-chef du Spartak Moscou et brièvement pour l'équipe nationale, notamment durant la Série du Siècle de 1972. Bobrov mourut en 1979 à l'âge de 56 ans et fut introduit au temple de la renommée du hockey international (IIHF) en 1997, soit lors de la première année de l'existence de ce temple.

En plus d'avoir été un des chanceux qui ont évité la mort lors de l'écrasement de 1950, Viktor Shuvalov vécut très longtemps, devenant le dernier joueur encore vivant de cette époque de l'émergence du hockey russe. Il mourut finalement en 2021 à l'âge de 97 ans, suite à des complications reliées à la Covid-19.

J'ignore quand et comment les familles des joueurs décédés lors de l'écrasement de 1950 furent mis au courant de ce secret et des manigances de Vasily Staline. Une plaque fut toutefois érigée en leur mémoire près du lieu de leur enterrement.



Une comédie du nom de «The death of Stalin» est sortie en 2017 où ces faits sont de nouveau relatés:


 

Conway's Russian Hockey Blog
Soviet Union ice hockey great Shuvalov dies at 97, Insidethegames.biz, 20 avril 2021
Eliteprospects.com


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