mercredi 1 mai 2024

L'as, le Lord et le Godzilla


 

Ce texte a d'abord été publié comme texte inédit dans notre livre «Le meilleur de La vie est une puck» en 2022. Ce livre est désormais épuisé mais demeure toujours disponible en format digital (eBook).  

 

Même si chaque carrière sportive est unique, celles d’Olaf ­Kölzig et ­Byron ­Dafoe ont emprunté plusieurs routes parallèles, et parfois la même voie. Et les deux frappèrent le même obstacle sur leur chemin, un « as » qui vint temporairement brouiller les cartes.

Le premier, ­Olaf ­Kölzig, est à né ­Johannesburg en ­Afrique du ­Sud de parents allemands. Adolescent, il deménage en ­Colombie-Britannique où il sera rebaptisé « ­Godzilla » ou « ­Zilla », dû à la ressemblance entre son nom et celui du monstre bien connu, le tout accentué par sa stature imposante. Le second, ­Byron ­Dafoe, vient au monde en ­Angleterre, mais quelques mois après sa naissance, sa famille émigre ­elle aussi dans la province du ­Pacifique. Ses origines ­anglo-saxonnes lui valurent le surnom de « ­Lord ­Byron ».

Au niveau junior, les deux intègrent la ­Western ­Hockey ­League (WHL), ­Kolzig en 1987 avec les ­Bruins de ­New ­Westminster et ­Dafoe l’année suivante avec les ­Winter ­Hawks de ­Portland. Leurs performances remarquables attirèrent l’attention des ­Capitals de ­Washington, qui firent le choix peu commun de repêcher un gardien en première ­ET en deuxième ronde au même repêchage, dans ce ­cas-ci celui de 1989.

Kolzig disputa ses deux premiers matchs dans la grande ligue la même année, encaissant la défaite à chaque fois. En ­1990-91, il fit officiellement le saut chez les professionnels, à ­mi-temps chez les ­Skipjacks de ­Baltimore (Ligue américaine) et les ­Admirals d’Hampton ­Roads (ECHL). Dafoe, toujours un an derrière le ­Sud-Africain, passa des ­Winter ­Hawks aux ­Raiders de ­Prince ­Albert. L’année suivante, nos deux gardiens devinrent deux fois coéquipiers, d’abord au sein des ­Skipjacks et ensuite avec les ­Admirals.


Cependant, le grand club souhaitait faire voir davantage d’action à ses espoirs. Les ­Capitals prêtèrent ­Kolzig aux ­Americans de ­Rochester où il enfila l’uniforme 49 fois. Dafoe resta quant à lui à ­Baltimore, chaussant les patins pour 48 rencontres. Chacun fut également rappelé pour un match avec les ­Caps. En 1993, les ­Skipjacks déménagèrent à ­Portland au ­Maine et le tandem ­Dafoe-Kolzig aida les nouvellement baptisés ­Pirates de ­Portland à remporter la coupe ­Calder. Ils se partagèrent également le trophée ­Harry ­Hap ­Holmes, remis au(x) gardien(s) ayant la plus faible moyenne de buts alloués.

Kolzig participa ensuite à sept matchs avec les ­Capitals en ­1993-94, ne réussissant toutefois pas à obtenir une première victoire, contrairement à ­Dafoe qui, en cinq matchs à ­Washington, obtint son premier gain dans la ­LNH.

À l’aube de la saison écourtée de 1995, les ­Capitals se séparent de leur gardien numéro un des cinq saisons précédentes, le vétéran ­Don ­Beaupre, qui prendra la route d’Ottawa. On croyait alors que le poste de partant irait à ­Kolzig ou ­Dafoe, ou ­peut-être à l’adjoint de ­Beaupre, ­Rick ­Tabaracci. Le parcours de tout ce beau monde bascula lors du ­lock-out de 1994 avec l’arrivée d’un certain ­Jim ­Carey.

Choix de deuxième ronde lors de l’encan de 1992, ­Jim ­Carey ne doit pas être confondu à l’acteur canadien ­Jim ­Carrey avec deux R. Ce dernier étant célèbre grâce au film « ­Ace ­Ventura: ­Pet ­Detective », ­Carey hérita du surnom « ­Ace », ce qui expliquait les quatre as sur le menton de son masque à l’époque. Tout frais sorti de l’Université du ­Wisconsin, ­Carey tassa tout le monde de l’échiquier et devint le portier numéro un des ­Pirates durant le gel des activités dans la ­LNH en 1994. Pendant ce temps, ­Dafoe fut prêté aux ­Roadrunners de ­Phoenix de la ­International ­Hockey ­League (IHL) et Kolzig dut pour sa part mettre le cap sur l’Allemagne pour garder la forme.


Lors de la reprise des activités, les ­Capitals connaissent un misérable début de saison avec une fiche de seulement trois victoires en 18 matchs où se succédèrent sans succès ­Kolzig, ­Dafoe et ­Tabaracci. On donna donc sa chance à ­Carey au début du mois de mars, lui qui était fumant dans la ­Ligue américaine avec 30 victoires, dont six par jeu blanc. « ­Ace » poursuivit sa lancée dans la ­LNH avec 18 victoires en 29 parties, propulsant les ­Capitals en séries.

Après avoir échangé ­Tabarracci à ­Calgary, les ­Capitals rappelèrent ­Dafoe pour seconder ­Carey, en compagnie de ­Kolzig. Malheureusement pour le trio et les ­Capitals, ils se butèrent aux puissants ­Penguins qui les éliminèrent dès la première ronde. 

Le passage de ­Carey dans la ­AHL était toutefois si fulgurant qu’il gagna le trophée ­Red Garrett, remis à la recrue de l’année, ainsi que le trophée ­Baz Bastien, remis au meilleur gardien malgré une présence écourtée à ­Portland. De plus, il figura parmi les finalistes pour les trophées équivalents dans la ­LNH, soit le ­Calder et le ­Vézina. Voyant l’émergence incroyable de ­Carey, l’équipe se départit de ­Dafoe en août 1995, en l’expédiant aux ­Kings de ­Los ­Angeles en compagnie de ­Dmitri ­Khristich. Kolzig resta quant à lui à ­Washington pour assister la nouvelle coqueluche des ­Capitals.

Carey se remit au travail la saison suivante, survolant ses collègues de la ­LNH. Il vit beaucoup d’action, défendant le filet des ­Capitals pendant 71 matchs, recueillant 35 victoires. Kolzig ne participa qu’à 18 matchs et en ajouta cinq de plus à ­Portland, question de ne pas s’ankyloser. Quant à ­Dafoe, il partagea le filet des ­Kings avec ­Kelly Hrudey, ne récoltant que 14 victoires en 47 matchs. En séries éliminatoires, le chemin des ­Caps croisa de nouveau celui des ­Penguins en première ronde. Malgré cette deuxième élimination hâtive d’affilée, ­Carey remporta le trophée ­Vézina. Au moment d’écrire ces lignes, il est toujours le seul gardien à avoir été nominé pour le trophée ­Vézina lors de ses deux premières saisons. Forts de ces succès, les ­Capitals lui accordèrent un contrat de quatre saisons.

Mais malgré deux saisons extraordinaires, l’attaque des ­Penguins lors des séries avait fissuré l’armure du grand « ­Ace ». La légende raconte que les ­Penguins auraient remarqué une faiblesse de ­Carey pour les mouvements latéraux, qu’ils ont facilement parvenus à exploiter cette faille durant ces séries et que le ­bouche-à-oreille s’est vite répandu à travers la ligue. Cela fit en sorte que ­Carey eut, pour la première fois de sa carrière, une fiche déficitaire en ­1996-97, signant 17 victoires contre 18 défaites. Les Capitals ­avaient-ils misé sur le mauvais cheval? ­Ils prirent alors la décision de s’en départir en l’incluant dans un « blockbuster » à la date limite des transactions. 

Carey passa donc aux ­Bruins de ­Boston en compagnie de ­Jason Allison et d’Anson ­Carter, en retour d’Adam ­Oates, ­Rick ­Tocchet et du gardien ­Bill ­Ranford. Cet échange ébranla sérieusement ce qui restait de confiance à ­Carey, qui ne gagna que cinq des 19 matchs qu’il joua pour ­Boston.

En ­Californie, ­Dafoe tentait toujours de faire sa place, cette fois aux côtés de ­Stéphane ­Fiset. Mais n’ayant gagné que 13 des 40 matchs auxquels il participa, ­Lord ­Byron perdit son poste au profit du jeune ­Jamie ­Storr. Dafoe atterrit donc lui aussi à ­Boston à l’été 1997, retrouvant celui qui lui avait fait de l’ombre à ­Washington : ­Jim ­Carey. Mais cette fois, les rôles furent renversés. Dafoe éclipsa totalement ­Carey qui peinait à engranger les victoires. Avec 30 succès en 65 rencontres, il devint rapidement un favori de la foule et le nouveau numéro un des ­Bruins. Carey assura donc la navette entre le grand club et le ­club-école à ­Providence et n’obtint que trois victoires dans la ­LNH. Mais même dans la ­AHL, ­Carey ne put redorer son blason, alors qu’au même moment, son homonyme accumulait les succès au ­box-office.

Dernier des trois encore à ­Washington, ­Kolzig apprit grandement auprès de ­Bill Ranford, dont le nom était inscrit à deux reprises sur la ­coupe ­Stanley avec les ­Oilers d’Edmonton. « ­Godzilla » sortit complètement de sa coquille en ­1997-98, devenant le portier de confiance des ­Caps avec 33 victoires en 64 matchs et participant au Match des étoiles. Il conduisit ensuite son équipe en finale de la ­coupe Stanley. Cependant, les imbattables ­Red ­Wings de ­Detroit balayèrent ­Washington en quatre matchs.

Kolzig ne put répéter ses exploits en ­1998-99, et les ­Capitals ratèrent les séries. Dafoe, sur les chapeaux de roues avec les ­Bruins, récolta 32 victoires, dont 10 par blanchissage.

Pendant ce temps, les ­Blues de ­Saint-Louis firent l’acquisition de ­Carey, lui qui croupissait dans la ­AHL, n’ayant pas réussi à percer l’alignement des ­Bruins. Il ne participa qu’à quatre matchs au ­Missouri, n’enregistrant qu’une seule victoire. Il fut rétrogradé dans la ­IHL et, après deux matchs, il subit une commotion cérébrale.

N’étant plus capable de gérer la pression et ayant perdu le plaisir de jouer, il décida d’accrocher ses jambières. Plus jamais il ne remit l’équipement ou ne prit part à des activités de la ­LNH.



L’arrivée du nouveau millénaire ne fut pas de tout repos pour ­Dafoe. Une mésentente contractuelle avec les ­Bruins lui fit rater le début de la saison et une opération au genou le priva du dernier quart de l’année. La saison suivante ne fut pas meilleure côté blessures, alors que ses genoux l’envoyèrent à l’infirmerie pour 24 matchs.

De retour en pleine santé en ­2001-02, il retrouva sa touche magique avec 35 victoires, avant de voir les ­Canadiens de ­Montréal éliminer ­Boston en six matchs. Les dirigeants des ­Bruins, ayant perdu confiance en lui, ne renouvelèrent pas son contrat. Dafoe se retrouva du travail avec les ­Thrashers d’Atlanta, mais de retour dans un rôle de réserviste derrière ­Pasi ­Nurminen.

Après 35 matchs en deux saisons en ­Georgie, ­Dafoe décida de prendre une année sabbatique, la saison ­2004-05 de la ­LNH étant d’ailleurs annulée par un autre ­lock-out. Il tenta sa chance en ­Russie à l’automne 2005, mais le cœur n’y était plus et il confirma sa retraite après deux matchs.

Kolzig disputa 63 matchs par saison en moyenne à ­Washington, mais ne put jamais passer la première ronde des éliminatoires après sa présence en finale en 1998. Il s’établit tout de même parmi l’élite des gardiens de la ­LNH, mettant la main sur le trophée ­Vézina en 1999‑2000 et le ­King ­Clancy en ­2005-06.

C’est à la fin de la saison ­2007-08 qu’il perdit finalement la position de numéro un des ­Capitals au profit de ­Cristobal ­Huet. Agent libre durant l’été, il signa un contrat d’un an avec le ­Lightning comme gardien substitut. Après seulement huit matchs et une fiche de ­2-4-1, il se blessa en janvier, ce qui le mit au rancart pour le reste de la saison.

Un échange bizarre et controversé impliqua alors ­Kolzig. Le ­Lightning connaissait une période d’instabilité financière et l’envoya aux ­Maple ­Leafs en compagnie du défenseur ­Jamie ­Heward, du prospect ­Andy ­Rogers ainsi qu’un choix de 4e ronde. En retour de tout ça, le ­Lightning ne reçut qu’un seul joueur, le défenseur marginal ­Richard ­Petiot. Cet échange maquillait mal ce qui importait aux deux équipes, soit un « salary dump » pour ­Tampa ­Bay contre un simple choix pour ­Toronto. Kolzig prit sa retraite avant le début de la saison suivante et n’aura jamais mis les pieds à ­Toronto.

Il est encore à l’emploi des ­Capitals, dans un rôle de développement, et put ainsi soulever la ­coupe Stanley en 2018, vingt ans après sa présence en finale.

Kolzig et ­Dafoe ont tissé des liens d’amitié très serrés avec les années, par exemple en étant chacun le témoin de l’autre lors de leur mariage respectif au courant de l’été 1998. Kolzig est d’ailleurs le parrain du fils de ­Dafoe et ­vice-versa. Ils mirent aussi sur pied la fondation « ­Athletes ­Against ­Autism », les deux étant pères d’un enfant atteint du syndrome du spectre de l’autisme.

Après avoir obtenu son diplôme en affaires à l’Université de ­Tampa, ­Jim ­Carey développa ensuite une compagnie de facturation médicale en ­Floride où il siège toujours comme président.

La morale de l’histoire, c’est que repêcher trop de gardiens, ça fait du trafic devant le but.

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