lundi 5 décembre 2022

Quand le hockey vire au tragique


La Presse, 3 mars 1905


 
 
Le 24 février 1905, le dernier match de la saison opposait deux équipes voisines dans leur ligue régionale senior. Alexandria, dans l’est ontarien, a parcouru la vingtaine de kilomètres qui la séparait de Maxville pour affronter sa rivale.

Les deux frères Laurin, qui jouaient pour Alexandria, étaient des joueurs offensifs et élégants. De l’autre côté, Allan Loney, 19 ans, avait déjà une réputation de joueur sans merci. Une version de l’histoire indique qu’avant le match, Loney s’était engagé à faire passer un mauvais quart d’heure aux joueurs d’Alexandria si ceux-ci parvenaient moindrement à s’imposer et même de s’en prendre à l’arbitre au besoin. Loney enguirlanda d’ailleurs l’arbitre O’Connor au début du match. Il faut aussi noter que la rivalité entre les deux villes était bien ancrée, d’autant plus que l’équipe de crosse d’Alexandria était dominante depuis un moment dans la région.
Alcide Laurin

Vers le milieu du match, selon la version de l’arbitre, Loney frappa Alcide Laurin au menton. Il continua ensuite à le poursuivre pour briser son bâton. En ramassant ce qui restait de celui-ci, Laurin passa des commentaires indéterminés. Il faut croire que Loney n’a pas apprécié, puisqu’il lui asséna avec force un coup de bâton sur la tempe. Laurin, 24 ans, toujours selon la version de l’arbitre, était penché et avait le dos tourné. Il s’affaissa aussitôt. Loney fut expulsé.

Une autre version mentionne que Laurin avait d’abord fracturé le nez de Loney. Ce serait donc en le frappant que Laurin aurait brisé son bâton. Il aurait alors signalé son intention de se battre à son adversaire. Les deux versions étaient donc assez contradictoires. Une troisième version indiqua que le coup était accidentel, version qui fut réfuté par les médecins légistes. Il était donc difficile de départager tout ça. Le problème, c’est qu’en 1905, les reprises vidéo dans des ligues régionales, ce n’était pas vraiment fréquent…

Ce n’est que quelques minutes plus tard qu’on constata que Laurin avait rendu l’âme. Il s’agit du premier décès recensé lors d’un match de hockey. L’autopsie démontra que le crâne était fracturé à cinq endroits, incluant une fente d’un demi-pouce de large. À l’annonce de sa mort, l’entourage de Laurin s’en est pris aux joueurs de Maxville. Le frère de Laurin s’attaqua directement à Loney et lui aurait brisé le nez avec son bâton. En bout de ligne, lequel des Laurin a brisé le nez de Loney et à quel moment? Difficile à départager. Loney fut arrêté, accusé de meurtre et conduit à la prison de Cornwall.

Le tout est ensuite devenu une saga. On nota rapidement que le père de Loney, bien que maintenant aveugle, était le marchand le plus prospère de Maxville et qu’il était à la tête de la loge orangiste de l’endroit. De plus, le fait que les joueurs de Maxville étaient tous protestants, alors que ceux d’Alexandria étaient presque tous catholiques est un angle qui a immédiatement fait surface, insinuant des problèmes de partialité.

L’arrestation de Loney s’est aussi faite avec un certain esprit de clocher. Le constable d’Alexandria, un dénommé Hall, qui s’est présenté à Maxville a d’abord demandé la collaboration des autorités locales, pour éviter le grabuge. On lui demanda alors s’il avait un mandat d’arrestation. Lorsqu’il répondit oui, on lui dit que le mandat était illégal et qu’il s’apprêtait à commettre une bavure. Le magistrat local vint ensuite à sa rencontre regarder son document, pour alors lui dire qu’il n’avait pas de valeur. Lorsque le constable Hall lui signifia que le juge de paix qui l’avait signé avait aussi juridiction sur Maxville, la conversation bifurqua sur la maladie de la mère de Loney. Hall leur répondit qu’il avait un travail à faire. Les autorités de Maxville lui indiquèrent donc que ce serait eux qui iraient cueillir Loney pour l’amener à la gare. C’est finalement quelques minutes avant le départ du train vers Cornwall que Loney fut remis à Hall.

À la surprise générale, Loney fut ensuite libéré sans caution pendant l’enquête. Il demeura toutefois à Cornwall, de crainte de créer un soulèvement à Alexandria, où l’enquête se déroulait à l’hôtel de ville. Les nombreux curieux, incluant plusieurs personnes de Maxville, ne furent pas admis dans la salle, histoire de prévenir l’agitation.

Le coroner statua rapidement que c’est le coup de bâton qui fut fatal. La défense dut donc trouver un argumentaire pour disculper Loney.

Au procès, autant la défense que la Couronne étaient représentés par trois avocats. La Couronne convoqua 25 témoins. La défense, 40. On peut se demander quel pourcentage de la foule qui était présente au match représente ces 65 personnes...  On estima le nombre de visiteurs à Cornwall à 1000 pour l'événement.

Au procès, bien que Loney donnait une impression de nonchalance, ses avocats le dépeignirent comme une victime d’une attaque de Laurin. Il affirma même qu’au moment du coup, il avait les yeux fermés, montrant ainsi le côté accidentel de celui-ci. Il s’agit toutefois d’un argument difficile à prouver ou à infirmer. En fait, il évoqua qu'il ne se souvenait même pas du coup lui-même. La défense mit également ses efforts à décrédibiliser l’arbitre et mettre ses compétences en doute.

L’accusation de meurtre, passible de pendaison, fut ensuite changée en homicide. Le jury accepta la défense de Loney, selon qui il aurait agi en légitime défense. Après quatre heures de délibération, il fut donc acquitté, semant la joie dans la salle d’audience, au point où le juge Teetzel expulsa les plus exubérants. Il sermonna également Loney, lui mentionnant qu’il devait une fière chandelle à ses avocats.

Il se lança ensuite dans un éditorial où il dénonça la glorification, par les journaux et la population, de ceux qu’il qualifia de brutes, au hockey, à la crosse et au football. Il alla même jusqu’à mentionner que ces jeux devraient être interdits.

Loney déménagea éventuellement à Edmonton, où il travailla pour le CN. Il est décédé en 1965, à l’âge de 79 ans.

Sources :

"En jouant au hockey", 27 février 1905, La Presse, page 11,

"Détails d’une brutalité révoltante", 1er mars 1905, La Presse, page 1,

"Loney, who killed Alcide Laurin with a hockey stick, in jail", March 1st 1905, Montreal Star, page 12,

"Une brave famille canadienne-française dans le deuil", 2 mars 1905, La Presse, page 1,

"La mort du jeune Alcide Laurin", 3 mars 1905, La Presse, page 1,

"Les frères Charlebois défient les Maxville", 6 mars 1905, La Presse, page 1,

"L’affaire de Maxville", 7 mars 1905, La Presse, page 1,

"Le meurtrier de Laurin", 23 mars 1905, La Presse, page 1,

"Le procès de Loney", 24 mars 1905, La Presse, page 1,

"L’acquittement de Loney aux assises de Cornwall", 30 mars 1905, La Presse, page 1,

"Loney est acquitté", 30 mars 1905, La Patrie, page 1,

"Announcements", March 4 1965, Edmonton Journal, page 22,

"We like our hockey with a little blood" de Lawrence Scanlan, March 11, 2004, The Globe and Mail (theglobeandmail.com),

wikipedia.org.

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