mardi 5 décembre 2023

Godfrey Matheson



Les Black Hawks de Chicago ont été créés en 1926 à partir des vestiges des défunts Rosebuds de Portland de la tout aussi défunte Western Hockey League (WHL). Lors de leurs débuts, le propriétaire était le major Frederic McLaughlin. (Blackhawk était d’ailleurs le nom de son unité d’infanterie.) C’est toutefois en faisant prospérer l’entreprise de café dont il avait hérité de son père qu’il fit fortune et qu’il put s’embarquer dans cette aventure, même s’il connaissait peu le hockey.

McLaughlin était un excentrique qui n’hésitait pas à aller à contre-courant et à se mettre à dos les autres propriétaires d’équipe. Le très patriote major a par exemple embauché en 1937 un arbitre, Bill Stewart, qui avait comme caractéristique d’être américain, pour être entraîneur. Son but était alors de mettre sur pied une équipe toute américaine, à une époque les joueurs non canadiens étaient rarissimes. Malgré une Coupe inespérée, McLaughlin a fini par le congédier, une vraie marotte chez lui. Lors des 18 ans où il a été propriétaire, 14 entraîneurs ont défilé derrière le banc des Hawks (15 si on tient compte du fait qu’un d’entre eux y est passé deux fois).
Frederic McLaughlin
(Les photos de Matheson sont introuvables...)

Ses méthodes pour les trouver n’étaient pas, comme le reste, très conventionnelles. Son embauche de Godfrey Matheson en 1931 en est un exemple frappant. Alors qu’il était dans le train entre Minneapolis et Chicago, il rencontra Matheson, avec qui il engagea une conversation informelle.

Matheson était originaire de Winnipeg, la même ville que son gardien vedette, Charlie Gardiner, ce qui sembla lui donner une crédibilité instantanée aux yeux de McLaughlin. Si Matheson avait travaillé avec les équipes du St,John’s College et de l’Université du Manitoba, il n’avait par contre jamais été impliqué dans le hockey professionnel. Ceci n’empêcha toutefois pas McLaughlin de lui offrir le poste derrière le banc des Hawks, dont le camp commençait sous peu à Pittsburgh.

Lorsque les joueurs se présentèrent à leur nouvel entraîneur, ce dernier leur dit d’abord que comme tous étaient des adultes, il faudrait tous s’appeler Monsieur : Monsieur March, Monsieur Gottselig, etc.

Sur la glace, Matheson se présenta avec son habit de ville, mais avec des genouillères et des protecteurs de coude par-dessus, et sans patins. À genoux sur la glace, il lançait les rondelles (avec ses mains) aux joueurs, qui devaient la capter et faire un tir sur réception. Frock Lowrey voulut s’amuser à ses dépends en faisant exprès pour rater et passer près de Matheson avec son bâton. Lowrey rata toutefois son coup d’une autre façon en le frappant si fort qu’il dut être sorti sur une civière.

Pour ménager Gardiner (il n’y avait qu’un gardien à l’époque), il utilisait un mannequin rembourré auquel il mit un chandail de match ou des planches devant le but pendant les pratiques. Pourtant, pour exercer ce même Gardiner, il demandait qu’on le bombarde en lui lançant jusqu’à 3 ou 4 rondelles à la fois, encore une fois avec les mains. Au bout de trois jours, Gardiner en eut assez de ce manège. Il prit le mannequin, l’amena sur la table de massage et commença à le frictionner en lui disant qu’il avait travaillé très fort et qu’il avait besoin de repos.

Stratégiquement, Matheson voulut confondre ses adversaires, en inversant les rôles de Taffy Abel, un gros défenseur, et celui de Mush March, un petit attaquant rapide. La logique était que l’habile March pourrait soutirer la rondelle à l’adversaire, pour ensuite l’envoyer à Abel, qui pourrait ensuite se créer un chemin avec son physique jusqu’au but adverse. Une variante était qu’Abel ouvre le chemin, pour ensuite laisser la rondelle à March. La réalité fut plutôt que March fut amplement bousculé et qu’Abel se faisait immédiatement rattraper, en plus d’avoir un tir médiocre. Après avoir mis March en furie, la stratégie fut abandonnée.

Une autre approche qu’il tenta était de donner ses instructions à ses joueurs pendant le jeu à l’aide d’un sifflet. Un coup pour une passe, deux pour un lancer et trois pour un changement de ligne. Pour la créativité et l’effet de surprise, on repassera…

La comédie tira à sa fin lorsqu’avant le début de la saison régulière, il fut annoncé que Matheson souffrait d’une dépression nerveuse. L’équipe débuta d’abord sa saison (au match inaugural du Maple Leaf Gardens) sans entraîneur, avant qu’il ne soit remplacé par Emil Iverson, un danois d’origine qui était déjà avec l’équipe et qui avait été entraîneur à l’Université du Minnesota. Il était un adepte du conditionnement physique, ce qui était aussi une approche hors norme à l’époque. Celle-ci a toutefois mieux vieilli que celles mises de l’avant par Matheson, même si le calibrage d’Iverson entre l’entraînement sur glace et hors glace (trop important) n’était pas approprié pour le hockey. Ça n’empêcha toutefois pas l’expérience d’Iverson d’être également courte et celui-ci fut éventuellement remplacé par Tommy Gorman.

Sources:

Frayne, Trent, The Mad Men of Hockey, McClelland & Stewart Limited, 1974, pages 112-113,

″Matheson Chosen To Coach Chicago″, Montreal Gazette, October 16, 1931, page 17,

″Only One Of His Kind″, The Vancouver Sun, October 28, 1931, page 15,

″Black Hawk’ New Mentor Quits Team″, November 20, 1931, The Regina Leader-Post, page 17,

″Gorman Succeeds Emil Iverson As Hawks’ Manager″ de Paul Mickelson, AP, January 14, 1933, Montreal Gazette, page 14,

″Blackhawk Owner Mind’s… Crammed with Bizarre Theories About Hockey″ de Joe Williams, January 18, 1939, The Pittsburgh Press, page 21,

″On The Rebound″ de Doug Vaughan, March 16, 1956, Windsor Daily Star, page 30,

″The Playing Field″ de Dink Carroll, April 10, 1957, Montreal Gazette, page 22,

″D’un but à l’autre″ de Charles Mayer, 6 mars 1960, La Patrie, page 129,

″Year the Hawks became grown ups″ de Dink Carroll, January 2, 1985, Montreal Gazette, page F3.

Note: Je me suis basé principalement sur les ressources de l’époque pour écrire ce billet. Les ressources plus récentes semblent se contredire et changer la chronologie des événements. Les ressources de cette époque ont toutefois l’inconvénient d’être moins précises car on n’y couvrait pas les sports avec la même profondeur qu’aujourd’hui.

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