Ce texte a d'abord été publié comme texte inédit dans notre livre «Le
meilleur de La vie est une puck» en 2022. Ce livre est désormais épuisé
mais demeure toujours disponible en format digital (eBook).
Fils d’un joueur de hockey qui avait joué cinq matchs avec les Leafs dans les années 1940, Gene Carr avait un coup de patin remarquable, un style flamboyant en plus d’un potentiel offensif qui suscitait la convoitise. Lors du repêchage de 1971, l’attention fut évidemment portée vers Guy Lafleur, choisi premier par Montréal, et Marcel Dionne, deuxième par Détroit. Au troisième rang, les Canucks se tournèrent vers le défenseur Jocelyn Guèvremont avant que les Blues ne choisissent Carr avec la quatrième sélection. Il fut ainsi sélectionné devant son coéquipier avec les Bombers de Flin Flon, Chuck Arnason, choisi 7e par Montréal, même si ce dernier avait accumulé 163 points, 59 de plus que Carr. Le potentiel de Carr était tel que Claude Ruel l’aurait apparemment préféré à Dionne si les Canadiens n’avaient pas repêché au premier rang.
Les Blues étant à ce moment une équipe plutôt instable, ils échangèrent Carr après seulement 15 matchs dans leur uniforme. Le directeur-gérant des Rangers, Emile Francis, avait vu Carr lui glisser entre les mains au repêchage et voulait corriger le tir. Il envoya alors à St-Louis Mike Murphy, André Dupont et Jack Egers en retour de Wayne Connelly, Jim Lorentz et Carr. N’ayant pas de place pour lui au centre, les Blueshirts l’employèrent principalement à l’aile gauche où il n’eut pas vraiment l’occasion de se mettre en valeur, en plus d’être victime de plusieurs blessures. Malgré son bon coup de patin, il s’avéra que Carr manquait de finition et n’avait pas la touche du marqueur. Considérant les attentes à son endroit, il devint une tête de Turc des impitoyables partisans new yorkais.
Le 15 novembre 1973, Carr et Mike Murphy prirent un taxi qui fut impliqué dans un sérieux accident de la route qui leur laissa à chacun une sérieuse commotion. Après avoir raté plusieurs matchs, Carr fut échangé aux Kings en février 1974 contre un choix de première ronde au repêchage de 1977, qui deviendra Ron Duguay.
Dans sa nouvelle ville, il y avait toujours de grandes attentes envers lui, bien qu’il y avait moins de pression qu’à New York. Et sur la glace, ses boucles blondes qui virevoltaient dans l’uniforme doré des Kings firent de lui l’un des favoris de la foule. Lors d’une entrevue pour la radio, on lui demanda quel était son groupe de musique préféré. Il mentionna alors des nouveaux venus dans le domaine, les Eagles. Il s’avéra que leur chanteur Glenn Frey était à l’écoute. Originaire de Détroit, Frey était un fan de hockey et prit contact avec lui. Il en découla une grande amitié. En plus de porter son chandail lors de certains concerts, Frey fit entrer Carr dans le cercle du jet set californien, où il rencontra entre autres Joe Walsh, Linda Ronstadt et Elvis.
En plus, Frey s’inspira de l’histoire de Carr, celle de quelqu’un qui arrive dans une nouvelle ville et envers qui il y a de grandes attentes, pour composer ce qui deviendra l’un des plus grands succès des Eagles, «New Kid In Town».
Toutefois, l’histoire se répéta pour Carr à Los Angeles. Relégation au troisième ou quatrième trio, attentes déçues, blessures, etc. De plus, il y avait une grande animosité entre lui et son entraîneur, Bob Pulford. Pour sortir de cette situation fâcheuse, il eut recours à son agent, qui représentait également les Eagles. Celui-ci exigea alors aux Kings d’échanger Carr, sans quoi les Eagles ne joueraient plus au Forum d’Inglewood, en banlieue de L.A. C’est finalement le 1er novembre 1977 que Carr fut exaucé, alors qu’il fut échangé avec Dave «The Hammer» Schultz aux Penguins en retour de Syl Apps Jr. et du gendre de Bernard Geoffrion, Hartland Monahan.
C’est finalement dans la ville de l’acier que Carr répondit quelque peu aux espoirs placés en lui, alors qu’il récolta 17 buts (en plus des deux qu’il avait marqué avec les Kings) et 37 passes pour 56 points. Voulant capitaliser sur ces bonnes statistiques finalement obtenues, lorsqu’il devint autonome à la fin de la saison, il signa un contrat de trois ans pour 300 000 $ (une très coquette somme à l’époque) avec les Flames d’Atlanta. Ce fut toutefois une grave erreur des Flames.
L’année débuta sur un autre accident de la route où il bousilla sa nouvelle Mercedes. Sur la glace, ses performances retournèrent au point de départ et l’usure des blessures continua à faire son œuvre. Il ne joua que 30 matchs avec les Flames et fut éventuellement assigné aux Oilers de Tulsa de la Ligue centrale.
À l’été 1979 eut lieu le repêchage d’expansion pour annexer les quatre clubs survivants de l’AMH. La LNH ne fit pas de cadeau à ces nouveaux venus et les conditions d’admission furent difficiles.
Parmi les joueurs à sélectionner, il y avait une grande quantité de mauvais contrats dont les équipes en place voulaient se débarrasser. Il y avait évidemment celui de Carr parmi ceux-ci. John Ferguson, alors directeur-gérant des Jets de Winnipeg, fut le dernier à parler. Pour ses deux dernières sélections, il se contenta de dire, plutôt dépité, qu’il prenait les deux derniers, sans même nommer Carr et Hilliard Graves, un joueur marginal des Canucks. Carr ne joua jamais avec les Jets, ni pour aucune autre équipe d’ailleurs.
En 465 matchs, il marqua 79 buts (24 % durant sa seule saison 1977-78) et amassa 136 passes, pour un total de 215 points.
Il retourna alors en Californie, où il travailla dans les studios hollywoodiens comme coordonnateur de transport pendant 24 ans. Toutefois, ses trois opérations au cou, six au dos, deux aux genoux et un remplacement d’une hanche laissèrent des traces et il dut se déplacer avec une canne, puis des béquilles et éventuellement un fauteuil roulant. Il put toutefois bénéficier d’un traitement expérimental aux cellules souches en 2015 pour l’aider un peu.
Après avoir finalement pris sa retraite, il est décédé en décembre dernier, à l'âge de 72 ans, des complications d'une opération au dos.
Sources :
"Sam’s shrewdness, Ruel lore’s pay off" de Pat Curran, June 11, 1971, Montreal Gazette, pages 17, 20,
"Four Rangers traded for three Blues", AP, November 16, 1971, Montreal Gazette, page 13,
"Grundman sert les ouïes à Marcel Aubut" de Claude Larochelle, 14 juin 1979, Le Soleil, pC2,
"Former NHLer Gene Carr and other ex-athletes offered a clean bill of hope" d’Allan Maki, November 6, 2015, The Globe and Mail (globeandmail.com),
"The new kid in town is back" de Charlie Hodge, June 10, 2017, Kelowna Capital News (kelownacapnews.com),
"Carr dies at 72, played 465 NHL games for 5 teams", December 14, 2023 (nhl.com),
hockeydraftcentral.com, wikipedia.org.
Probablement un mélange de malchance et de mauvaise éthique de travail, voire pas d'éthique du tout, ce qui dans ces années-là voulait dire "combien de bières tu peux prendre et combien d'heures de sommeil tu peux couper sans que ça paraisse sur la glace". C'est ce qui faisait la qualité d'un bon joueur. Mais Carr n'avait pas la résistance physique pour faire la grosse vie et l'aura fait quand même. Merci pour cet article.
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