mercredi 29 mai 2024

Les grands voyageurs #13 - Paul Vincent




 

Ce texte a d'abord été publié comme texte inédit dans notre livre «Le meilleur de La vie est une puck» en 2022. Ce livre est désormais épuisé mais demeure toujours disponible en format digital (eBook).



S’il y a une série que j’adore particulièrement écrire sur le blogue, c’est bien celle des « grands voyageurs ». J’adore parler de ces « journeymen », comme le légendaire ­Mike Sillinger, titulaire du record de la ­LNH pour avoir joué avec 12 équipes. Ces joueurs sont toujours les sujets d’intéressantes histoires folkloriques, que ce soit par leur mode de vie nomade, les nombreuses équipes et ligues où ils ont joué ou bien ces histoires de marathons de matchs successifs. ­Mais parfois, on tombe sur des histoires plus troublantes qui viennent nous chercher. Le genre d’histoire à faire pleurer, comme moi durant mes recherches initiales pour ce texte.

Paul ­Vincent est né le 5 janvier 1975 à ­Utica dans l’état de ­New ­York. Costaud joueur de centre de 6’5’’ et 200 lb avec un certain flair offensif, il fut choisi par les ­Maple ­Leafs de ­Toronto en sixième ronde du repêchage de 1993 après une saison passée à l’école préparatoire ­Cushing ­Academy au ­Massachusetts. Il évolua quelques saisons dans le système des ­Maple ­Leafs, mais comme bon nombre d’espoirs, il ne se rendit jamais dans la ­LNH. Il débuta plutôt un long parcours avec un nombre impressionnant d’équipes dans pratiquement toutes les ligues professionnelles possibles ­d’Amérique du ­Nord et d’Europe.

Lorsqu’on découvre les histoires de ces joueurs nomades, on est d’abord amusé puis étourdi par tant de mouvement. On pense premièrement que ce ne doit pas être facile de vivre une existence aussi instable à trimbaler ses valises d’une ville à l’autre. Difficile de fonder une famille et d’en rester proche par exemple. On se dit toutefois que l’amour du jeu l’emporte sur tout et qu’il y a toujours pire dans la vie. Mais dans le cas de ­Paul ­Vincent, il y a effectivement eu pire et le mode de vie précaire de joueur de hockey n’était vraiment pas si terrible, considérant la manière dont sa vie a commencé.




Comme je vous le disais, ­Vincent est né le 5 janvier 1975 à ­Utica. Cependant, il ne s’agit pas de son vrai nom. Son prénom serait plutôt ­Tyrone et on ignore son vrai nom de famille. Sa mère était d’origine raciale mixte et son père était blanc. Alors qu’il n’était âgé que de six mois, sa mère l’abandonna dans la rue. Selon lui, c’était parce que sa peau n’était pas assez foncée, une source de honte pour sa mère. Son frère ainé ­Curtis­, âgé de seulement quatre ans, s’enfuit alors de la maison pour le secourir. 

Les deux jeunes frères, dont un encore trop jeune pour marcher, vécurent dans la rue, squattant des immeubles abandonnés et mangeant dans les poubelles. Le jeune ­Tyrone aurait même été suffisamment affamé pour avoir à se rabattre sur des écailles de peinture. Des docteurs émirent plus tard l’hypothèse que cette peinture devait contenir du plomb, ce qui lui aurait causé des déficiences de développement et d’apprentissage. Ils ont vécu environ six mois dans ces conditions terribles avant d’être enfin recueillis par les services sociaux. Ils passèrent ensuite trois ans dans un orphelinat de ­Boston pour être finalement tous les deux adoptés par ­Paul ­Vincent ­Sr. et sa femme ­Sylvia.

Vous comprenez alors que l’inaccessible ­LNH et les nombreux voyages en autobus ne sont vraiment pas des tragédies pour lui. Dans une rare entrevue accordée au ­Augusta ­Chronicle en 2001, ­Vincent déclara que d’être abandonné par sa mère fut probablement la meilleure chose qui lui soit arrivé. S’il était resté dans cette famille, il croit qu’il aurait abouti dans un gang de rue ou qu’il aurait été davantage maltraité par sa mère. 

Mais au lieu de ça, il a rejoint une famille aimante et fut rebaptisé du nom du père, soit ­Paul ­Vincent ­Jr. Le paternel était le fondateur d’une des meilleures écoles de patinage aux ­États-Unis et fut longtemps entraîneur dans la ­NCAA pour ­Boston ­College et la ­Rensselaer ­Polytechnic Institute. Il quitta momentanément ses fonctions dans les années 90 alors que sa femme était malade (elle mourut en 1997) mais revint par la suite comme entraîneur en perfectionnement du patinage à l’emploi du ­Lightning, des ­Bruins, ­des ­Blackhawks et plus récemment des ­Panthers.

Paul Vincent Sr. comme assistant entraineur à Chicago


C’est dans ce meilleur environnement que le jeune ­Paul ­Vincent ­Jr. apprit rapidement à patiner et il se révéla qu’il était un naturel. Il connut toutefois des difficultés d’apprentissage et il misa tout sur le hockey en abandonnant son collège privé après sa sélection au repêchage pour joindre les ­Thunderbirds de ­Seattle de la ­WHL en vue de la saison ­1993-94.

Il fit ses débuts professionnels l’année suivante lors de deux matchs avec les ­Maple ­Leafs de ­Saint-Jean de ­Terre-Neuve mais revint rapidement avec les ­Thunderbirds qui l’échangèrent peu après aux ­Broncos de Swift Current. Il termina au quatrième rang de la ­WHL avec 59 buts cette ­saison-là. Il joua ensuite pour les ­IceCaps de ­Raleigh dans la ­ECHL en ­1995-96 en plus d’une dizaine de matchs à ­Saint-Jean de ­Terre-Neuve. Malgré une récolte de points raisonnable, il joua ses derniers matchs dans l’organisation des ­Leafs en ­1996-97 sans jamais vraiment s’attirer la faveur du grand club, passant la majorité de la saison avec les ­Rivermen de ­Peoria.

C’est ainsi que son parcours nomade débuta, parcours parmi les plus impressionnants que j’aie vu jusqu’à maintenant. Et j’en ai vu une bonne batch. Après avoir constaté cette enfance tragique, je crois approprié de lui rendre justice et décortiquer son admirable parcours dans plusieurs villes secondaires d’Amérique du ­Nord. C’est en prime un voyage rétro dans plusieurs ligues défuntes et obscures avec tout plein d’équipes aux noms les plus débiles les uns que les autres, chose que j’adore particulièrement. ­Concentrez-vous ici parce qu’il y aura beaucoup de villes, de statistiques et d’abréviations de ligues...

Il rejoignit d’abord la ­United ­Hockey ­League (UHL) en ­1997-98, saison qu’il partagea entre trois villes (­Winston-Salem, ­Flint et ­Saginaw). Le scénario se répéta avec trois autres clubs en ­1998-99, d’abord les ­K-Wings du ­Michigan (IHL) suivi d’un saut dans une autre ligue, la ­Western ­Professionnal ­Hockey ­League (WPHL) avec les ­Ice ­Pirates de ­Lake ­Charles et les ­Jackalopes d’Odessa.

Autre saison, trois autres clubs pour ­Vincent en 1999‑2000 avec cinq matchs dans la ­AHL à ­Hershey et cinq autres dans la IHL à ­Kansas ­City. Il passa toutefois la majorité de la saison avec son club de l’année précédente à ­Odessa où il obtint 42 buts en 42 matchs, sa meilleure production à vie.

Il revint dans la ­ECHL en ­2000-01 avec les ­Lynx d’Augusta et les ­RiverBlades d’Arkansas pour ensuite faire un arrêt dans la ­Central ­Hockey ­League (CHL) avec les ­Outlaws de ­San ­Angelo pour la saison ­2001-02. Retour à son pattern de trois équipes en ­2002-03, cette fois dans trois ligues différentes ; les ­Barracudas de ­Jacksonville dans la ­Atlantic ­Coast ­Hockey ­League (ACHL), les ­River ­Otters du ­Missouri (UHL) et aussi sa première incursion en ­Europe avec les ­Boretti ­Tigers d’Amsterdam où il remporta le championnat de la ligue des ­Pays-Bas.

Ensuite, ça ne fait que devenir plus étourdissant. En ­2003-04, il joua pour cinq clubs dans trois ligues. D’abord un retour dans la ­ECHL pour la millième fois avec ­Augusta et les ­Everblades de la ­Floride. Il fit ensuite partie de ces quelques chanceux à avoir joué dans la très éphémère ­WHA2, une ligue ­semi-pro qui devait servir de base comme ligue de développement pour une nouvelle version de l'AMH  mais qui fut très rapidement dissoute. Vincent joua pour deux clubs de cette ­« ­semi-ligue », les ­Loggerheads de ­Lakeland et les ­Slammers de l’Alabama. 

On eut également la chance de l’avoir parmi nous au ­Québec avec sa cinquième formation de l’année, le ­Mission de ­St-Jean de la ­Ligue de ­Hockey ­Senior ­Majeur du ­Québec (LHSMQ), ancêtre de la ­LNAH. Il demeura au ­Québec en ­2004-05 avec le ­RadioX de ­Québec et les ­Dragons de ­Verdun en plus de retourner pour un match dans la ­UHL avec les ­IceHogs de ­Rockford. Il passa ensuite dans une nouvelle ligue, la ­Southern ­Professionnal ­Hockey ­League (SPHL), avec une des équipes au nom les plus délicieusement épicés de l’histoire, les ­FireAntz de ­Fayetteville. Non, ce n’est pas une faute de frappe, c’est bien ­FireAntz avec un « Z ».

En ­2005-06, il revint dans la ­CHL pour une dizaine de matchs avec les ­Ice ­Bats d’Austin et les ­Steelhounds de ­Youngstown. Il s’agissait toutefois de son chant du cygne dans les circuits mineurs ­nord-américains car il quitta le ­Sud profond pour le club de ­Trondheim en ­Norvège. Il joua ensuite de 2006 à 2012 pour quatre clubs en six saisons, principalement dans la ligue des ­Pays-Bas. Ces équipes n’ont certes pas des noms aussi exotiques que les clubs sudistes de la ­SPHL et autres ­WHA2 mais je crois qu’il s’agit d’un différent type d’exotisme avec différents enchaînements de voyelles et de consonnes.



­Il joua dans l’ordre pour les ­Amstel ­Tijgers, ­HYS ­The ­Hague, ­Eindhoven ­Kemphanen ainsi que les superbement nommés ­« ­A6.NL ­Heerenveen ­Flyers »­... On dirait davantage une section de formulaire qu’un nom d’équipe de hockey. Il joua aussi quelques matchs en ­Norvège à travers tout ça. Il prit sa retraite après la saison ­2011-12, mais demeura aux ­Pays-Bas comme ­assistant-entraîneur en deuxième division hollandaise en plus d’entraîner l’équipe des ­M18 et ­M20. Il s’établit par la suite en ­Belgique comme ­entraîneur-chef du ­HYC ­Herentals, également dans cette ligue des ­Pays-Bas, où il reprit même du service comme ­joueur-entraîneur durant quatre matchs en ­2014-15. Il fut ensuite entraîneur des ­Bulldogs de ­Liège dans la ligue du ­Bénélux, formée de l’union des ligues hollandaise et belge, où il rechaussa encore les patins pour quelques matchs.

Au final, ­Paul ­Vincent aura donc joué professionnellement pour 26 équipes en ­Amérique du nord dans 10 ligues différentes et pour huit autres équipes en ­Europe. En regardant de plus près, je crois qu’il est un des seuls à avoir joué dans toutes les principales ligues mineures de son époque (AHL, ­IHL, ­ECHL, ­UHL, ­WPHL, ­CHL, ­ACHL, ­WHA2, ­SPHL et ­LNAH). Il y a ­peut-être une ou deux autres ligues que j’oublie, mais rendu là, c’est très profond...

Il demeure très en contact avec son frère ­Curtis, toujours établi au ­Massachusetts. Pour sa part, ­Paul ­Vincent ­Sr. a pu amener la ­Coupe ­Stanley dans la famille en 2010 alors qu’il était à l’emploi des ­Blackhawks. Il s’implique toujours à ­Dartmouth ­College dans la ­NCAA, mais seulement à titre bénévole. Vincent ­Sr. fut au coeur de la saga ­Kyle ­Beach avec les ­Blackhawks en 2010. Après avoir été agressé sexuellement par un des entraîneurs adjoint des ­Blackhawks, la première personne à qui s’est confié ­Beach fut ­Paul ­Vincent, qui fut également la première personne que ­Beach remercia lorsqu’il sortit de l’ombre en 2021.

Et comme tout bon journeyman légendaire qui se respecte et qui n’arrête jamais, j’apprends, plusieurs mois après l’écriture initiale de ce texte, que ­Paul ­Vincent ­Jr était de retour en action en ­2021-22 comme joueur en quatrième division hollandaise avec le club ­Alcmaria ­Flames ­Alkmaar. Désormais âgé de 47 ans, il a obtenu 15 buts en 5 matchs... Depuis, il chausse également les patins au moins une fois par saison, j'imagine pour dépanner son équipe, cette fois-ci les Lions de Dordrecht, toujours en 4e division néerlandaise...


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