mercredi 11 janvier 2023

Les échanges Boston-Montréal



RDS nous a récemment présenté une série au sujet de la rivalité Canadiens-Bruins. Celle-ci a ses qualités. On a interviewé plusieurs intervenants (joueurs, entraîneurs, journalistes, commentateurs) et ce, des deux côtés.

On a aussi couvert plusieurs époques. Toutefois, lorsqu’on tentait de nous faire croire que la rivalité datait pratiquement de la naissance des Bruins (en 1924), j’ai trouvé qu’on poussait un peu. Je comprends que le Massachussetts comportait à ce moment d’importantes communautés canadiennes-françaises, mais il demeure qu’au début de leur existence, les Bruins ont rapidement rejoint la division américaine. Pendant ce temps, les Canadiens affrontaient des rivaux plus naturels comme Toronto, Ottawa et les Maroons, avec qui ils partageaient la ville jusqu’en 1938. Ce ne sont pas d’occasionnels duels en séries (2 fois en 18 ans) qui pouvaient contrebalancer ceci.

De 1942 à 1967, pendant la période des six équipes, les bonnes saisons pour les Bruins ont été rares, les mauvaises beaucoup plus fréquentes. Il y eut bien 9 duels en séries, mais ils ont tous été remportés facilement par Montréal, à une seule exception où ce fut plus serré.

On indique comme un des arguments que l’incident qui a conduit à l’émeute de Maurice Richard s’est déroulé contre les Bruins. Peut-être, mais l’autre protagoniste était Hal Laycoe, un ancien joueur des Canadiens qui jouait avec des lunettes et qui a amassé cette saison-là un grand total de 34 minutes de pénalité. Pas vraiment le profil de quelqu’un qui était en mission pour mettre de l’huile sur le feu d’une brûlante rivalité.

À noter que de 1960-61 à 1964-65, les Bruins ont terminé derniers cinq fois de suite, et six fois en sept ans si on étire jusqu’en 1967. Difficile d’avoir une grande rivalité avec une équipe aussi misérable…

Ma théorie est que c’est vraiment lorsque les Bruins sont redevenus respectables, à la fin des années 1960, avec les Orr, Esposito, Bucyk et compagnie, que la rivalité a pris vie.

Je n’étais pas né à ce moment, mais une façon de valider à mon avis est de vérifier les échanges entre les deux équipes. Il est rare que deux rivaux s’entendent pour s’échanger des joueurs qui pourront plus tard venir les hanter dans les moments critiques. Le meilleur exemple est sans doute la rivalité Canadiens-Nordiques. À l’arrivée du Fleurdelysé dans la LNH, il y eu une entente pour ne pas rapatrier Marc Tardif en retour de choix au repêchage, mais c’est tout. Même lorsque les Nordiques étaient en difficulté, il n’y a pas eu de vrais échanges entre les deux. Bien que moins intense, la rivalité était toujours là.

Un autre exemple est la rivalité avec Toronto. Pendant les années 1960, les deux seules équipes canadiennes se sont fait compétition et se sont rencontré cinq ans de suite en séries. Et malgré que dans une ligue à six équipes, les partenaires pour faire des échanges sont limités, il n’y a eu aucun échange entre les deux équipes entre juin 1961 et décembre 1970. Par la suite, les Leafs se sont enfoncé dans l’absurdité du régime de Harold Ballard. Ils sont devenus moins menaçants, avant de carrément jouer dans une autre conférence (et d’être médiocres pendant de longues périodes). La rivalité a alors refroidi et on voit depuis à intervalle régulier des transactions entre les deux d’importance variable: Plekanec, Grabovski, Gilmour, Lefebvre, Courtnall / Kordic, Gingras, Daoust, Larocque / Picard, Jarvis, etc.

La théorie semble donc tenir la route. On ne transige pas avec l’ennemi. Peut-on l’appliquer à la rivalité Boston – Montréal?

Il ne fait pas de doute que celle-ci était particulièrement intense dans les années 1970 avec les nombreux duels en séries, invariablement remportés par le Tricolore.

Dans les années 1980, pendant la période de la division Adams, la confrontation en séries était quasi-annuelle.

De 2002 à 2011, nouvelle période intense avec 5 confrontations en séries en 9 saisons.

La rivalité a donc été assez soutenue. Pouvait-on dans ce contexte faire des échanges ensemble? La réponse est non. En presque 60 ans, il n’y a eu qu’une seule transaction. Le 21 février 2001, Montréal envoya Eric Weinrich à Beantown en retour de Patrick Traverse. À ce moment, les Canadiens étaient déjà éliminés de la course aux séries, alors que Boston avait encore espoir. (Ils finiront par les rater également.) Weinrich était un joueur de location et par conséquent pas menaçant pour les Canadiens. De plus, selon ce qui a été écrit à l’époque, l’intérêt pour lui était assez limité. Aussi, le directeur-gérant André Savard a obtenu en retour un joueur qu’il avait connu lors de ses années passées à Ottawa. Il y avait donc des facteurs atténuants pour passer par-dessus cette aversion naturelle, et ensuite réaliser une transaction relativement mineure.

Notre lecteur Kevin Roussel me faisait remarqué que le 23 janvier 2003, Jeff Hackett avait été échangé aux Sharks, mais qu'il a aussitôt été refilé aux Bruins.  Si on admet cette échange à trois équipes pour notre petite enquête maison, nous en avons deux.  Et dans les deux cas, il y a des points communs: il s'agit d'un joueur de location, la demande pour le joueur en question était faible, les Canadiens n'ont pas fait les séries et surtout, elles ont été effectuées par le même directeur-gérant, André Savard.  Est-ce parce que Savard a été le premier choix des Bruins en 1973, qu'il y a débuté sa carrière et que par conséquent il n'est pas rebuté par Boston?  Il faudrait lui demander.

À part ces "accidents de parcours", il n’y a pas eu d’autres transactions depuis le 1er août 1964, alors qu’Orval Tessier est revenu à Montréal contre un montant d’argent. Il n’a toutefois pas réenfilé le chandail bleu blanc rouge. En reculant à partir de cette date (période où les Bruins étaient vraiment pathétiques et aucunement menaçants), il y a eu des transactions assez régulièrement entre les deux.

Parmi elles, un mois avant celle impliquant Orval Tessier, Boston et Montréal s’étaient échangé quatre inconnus. Trois d’entre eux (Guy Allen, Paul Reid et Alex Campbell) ne joueront jamais dans la LNH. Le quatrième était un obscur gardien qui jouait pour une université, chose rarissime chez les espoirs moindrement potables à l’époque. Son nom? Ken Dryden.

Est-ce en raison de l’intensification de la rivalité ou le traumatisme d’avoir donné l’un des meilleurs gardiens de sa génération qui a incité les Bruins à cesser de transiger avec Montréal? Soyons bons joueurs (et oublions ce brin de sarcasme) et mettons ça sur le dos de la rivalité… Ce qui appuierait ma théorie que la rivalité Boston-Montréal date de la fin des années 1960, pas des années 1920, 1930 ou 1940.

Sources:

"Savard: Les Bruins sont les seuls à nous avoir offert un régulier" de Mathias Brunet, 22 février 2001, La Presse, page S4,

"Savard: Il n'y avait aucun autre club dans la course" de Mathias Brunet, 24 janvier 2003, La Presse, page S3,

nhltradetracker.com.

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