Autant au niveau des Alouettes que de celui de la ligue, Sam Etcheverry est incontournable, c’est le moins qu’on puisse dire.
Fils d’un père français et d’une mère basque établis au Nouveau-Mexique, Etcheverry se distingue d’abord à l’Université de Denver. En 1952, les Alouettes ont un nouvel entraîneur, Doug « Peahead » Walker, qui a pour mission de faire oublier la saison précédente (3-9) et de dénicher un quart-arrière. C’est en tombant sur une photo d’Etcheverry dans l’annuaire de son université que Walker le voit pour une première fois. Il accroche sur son allure, sa position et sa façon de décocher sa passe et décide de prendre contact avec lui. (Les méthodes de dépistage ont assez évoluées depuis…) Etcheverry se présente donc à Montréal. Walker recrute également Red O’Quinn, qu’il a dirigé à l’Université Wake Forest et qui a joué la saison précédente avec les Eagles de Philadelphie.
C’est Frank Nagle qui commence la saison au quart, mais en se fracturant la jambe, il laisse le champ libre au jeune Etcheverry, qui ne regardera plus jamais en arrière.
La première année est difficile (2-10), mais l’équipe est sur une lancée. Etcheverry, qu’on surnomme le « Rifle », se sert de son bras canon pour former une bonne combinaison avec O’Quinn, en plus de jouer comme secondeur et comme botteur de dégagement. D’autres joueurs se joignent ensuite à l’équipe, qui termine avec une fiche de 8-6 en 1953. Etcheverry y reçoit la première de ses six nominations sur l’équipe d’étoiles de l’est. (Il n’y avait pas à cette époque d’équipe d’étoiles pour la ligue.)
1954, c’est la consécration. Un receveur de passe de grande classe, Hal Patterson s’amène à Montréal, donnant à Etcheverry une autre corde à son arc. Le 16 octobre, le Rifle amasse 586 verges par la passe dans un gain de 46-11 contre Hamilton. Ce record tiendra jusqu’en 1993, alors qu’il sera battu par Danny Barrett. Pour l’année, il mène la ligue avec 3610 verges, un autre record, pour tout le football professionnel dans ce cas. Il mène la ligue à ce chapitre également pour les cinq années suivantes. Et il gagne bien sûr le Trophée Schenley du meilleur joueur de la ligue. Les Alouettes montrent une fiche de 11-3, en tête de l’est, évidemment.
Malheureusement, la saison ne termine pas comme prévu. À la finale de la Coupe Grey, les Alouettes sont favoris devant les Eskimos. Avec moins de trois minutes à jouer, ils mènent 25-20 et sont à la porte des buts. Etcheverry remet le ballon à Chuck Hunsinger. Ce dernier l’échappe. Jackie Parker le reprend et court 90 verges pour le touché. Le jeu a toutefois soulevé la controverse. Est-ce que Hunsinger a échappé le ballon ou a-t-il tenté une passe (ce qui, en tombant par terre, aurait mis fin au jeu)? Peu importe. Les Eskimos gagnent 26-25.
Les exploits d’Etcheverry ne passent toutefois pas inaperçus. Durant cette période, la NFL et ce qui est devenu la LCF se disputent âprement les meilleurs joueurs. De plus, les matchs du Big Four (ce qui est devenu la division est de la LCF) sont diffusés sur NBC. En janvier 1955, le Rifle signe un contrat avec les Cardinals de Chicago. Changeant d’idée, il en signe un autre avec les Alouettes le lendemain. Après de nombreuses discussions et négociations, le commissaire de la NFL Bert Bell et le propriétaire des Alouettes Léo Dandurand s’entendent. Etcheverry demeure finalement un Alouette et se remet au boulot.
Au cours de la saison, il amasse 3657 verges et 30 passes de touchés. Etcheverry peut aussi compter sur l’arrivée de Pat Abbruzzi dans le champ arrière. En fait, l’impact de celui-ci est tel qu’il gagne le Trophée Schenley du meilleur joueur de la ligue.
Les Alouettes remportent encore leur division et retrouvent leurs rivaux de l’année précédente, Edmonton, en finale. La situation est toutefois renversée. Les Eskimos (14-2) sont favoris et remportent une deuxième Coupe Grey, 34-19.
En 1956, les Cardinals sont toujours amers de la décision qui a permis à Etcheverry de leur filer entre les doigts. Ils demandent donc une injonction pour l’empêcher de poursuivre sa carrière à Montréal. En juin, un juge américain déclare le contrat des Cardinals invalide et rejette finalement l’injonction.
Sur le terrain, le Rifle pulvérise son record du nombre de verges amassées par la passe en une saison, en obtenant 4723. Ce record tiendra jusqu’en 1981, étant battu par Dieter Brock dans la LCF et Dan Fouts dans la NFL (mais en seize matchs au lieu de quatorze dans leurs cas). Le 20 octobre, dans un match complètement fou où 22 records sont établis, Etcheverry réalise six passes de touchés dans un match remporté 82-14 contre Hamilton.
Comme pour les deux années précédentes, c’est encore un joueur des Alouettes qui se mérite le Trophée Schenley du meilleur joueur de la ligue. Cette fois-ci, c’est toutefois Hal Patterson qui est récompensé.
Et comme pour les deux années précédentes, Montréal et Edmonton se font encore face en finale de la Coupe Grey. Puisqu’à cette époque, les équipes de l’est et de l’ouest ne s’affrontent pas lors de la saison régulière, il peut être plus difficile d’établir un favori. Mais les deux équipes se sont rencontrées lors d’un match préparatoire, que les Alouettes ont gagné. Ceux-ci sont donc établis favoris et devraient avoir la chance de venger leurs deux autres revers. Pourtant non… Les Eskimos l’emportent encore, 50-27.
Les Alouettes entreprennent alors une période de reconstruction et deviennent une équipe de milieu de peloton. Les Tiger-Cats sont maintenant l’équipe dominante de l’est. Les statistiques d’Etcheverry sont en baisse, même s’il continue d’amasser plus de 3000 verges par année. De son côté, Abbruzzi est ralenti par les blessures et quitte après la saison 1958. L’entraîneur Peahead Walker quitte après la saison 1959, tout comme Red O’Quinn.
En 1960, après l’élimination des Alouettes contre Ottawa en série, dans un match où le Rifle n’a pas été à son mieux, c’est le choc. Le propriétaire Ted Workman accepte d’échanger Etcheverry aux Tiger-Cats, contre un autre quart, Bernie Faloney. Un des trois athlètes emblématiques de Montréal des années 1950, avec Maurice Richard et le lutteur Yvon Robert, quitte pour Hamilton. Et comme si ce n’était pas assez, Hal Patterson, qui ne s’entend pas avec le nouvel entraîneur Perry Moss, prend également le chemin de la ville de l’acier, en échange de Don Paquette. Les Alouettes reçoivent des appels à la bombe.
Qu’est-ce qui a pu motiver Workman à faire un tel outrage aux partisans montréalais? Il semblerait qu’il estimait que ses deux vedettes, pourtant sur l’équipe d’étoiles, étaient sur la pente descendante et qu’il était temps d’en obtenir quelque chose. De plus, Paquette étant un canadien et Faloney en voie d’en devenir un, il aurait ainsi la possibilité de faire des emplettes du côté des joueurs américains. Les choses ne se sont toutefois pas passées ainsi.
Patterson alla connaître sept autres bonnes saisons avec les Ticats, gagnant trois Coupes Grey et étant élu à trois reprises sur l’équipe d’étoiles de la ligue.
Etcheverry, offusqué, invoqua sa clause de non-échange pour annuler son contrat et rejoignit finalement les Cardinals, maintenant déménagés à St-Louis. Mais en fin de carrière et au sein d’une équipe plus qu’ordinaire, il n’obtint pas de bons résultats lors de ses deux saisons au Missouri. Et comme l’échange d’Etcheverry a été annulé, Faloney est demeuré à Hamilton. Les Alouettes ont ensuite passé les dix années suivantes à faire endurer à leurs partisans des équipes médiocres et à chercher un quart décent. Paquette, quant à lui, a eu peu d’impact.
Avant de partir, le 7 juin 1961, une réception en son honneur est organisée au Reine-Élizabeth. 1500 personnes, incluant d’ex-coéquipiers, Peahead Walker, Frank Selke (voir texte du 16 septembre 2013), Toe Blake et de nombreux fans, viennent saluer l’athlète, l’idole et le gentleman qu’il est. On lui remet alors une automobile.
Sources :
Currie, Gordon, 100 Years of Canadian Football, Pagurian Press, 1968, p.116, 135,
Lemay, Daniel, Montréal Football, Un siècle et des poussières, Éditions La Presse, 2006,
Turbis, Pierre et Bruneau, Pierre, La grande histoire des Alouettes de Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2007.
« Sam Etcheverry 1930-2009 : on l’appelait le Rifle » de Daniel Lemay, 31 août 2009, La Presse (lapresse.ca),
« They Said Good-Bye To Sam » de Pat Curran, 8 juin 1961, Montreal Gazette, p.24,
« Une légende n’est plus » de Ronald King, 31 août 2009, La Presse (lapresse.ca),
« Un grand monsieur, une idole » de Réjean Tremblay, 31 août 2009, La Presse (lapresse.ca),
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Initialement publié sur bottedenvoi.blogspot.ca