Depuis septembre, nous pouvons voir une multitude de références à la Série du siècle qui fête ses 50 ans: des rassemblements, des entrevues, une série télévisée et même une bière. Les exploits des Cournoyer, Esposito, Dryden et bien sûr Henderson ont été soulignés à maintes reprises. On a toutefois beaucoup moins vu Vic Hadfield.
Ce dernier a connu une très belle carrière, mais la Série du siècle n’en fut de toute évidence pas le point culminant.
D’abord recruté par les Black Hawks de Chicago, Hadfield fut assigné aux Tee Pee’s de St.Catharines de la Ligue de l’Ontario. Une solide performance de sa part aida d’ailleurs sa formation à remporter la Coupe Memorial en 1960.
Les Hawks l’envoyèrent alors dans la Ligue américaine avec les Bisons de Buffalo, mais alors qu’ils redevenaient finalement une bonne équipe et même les champions de la Coupe Stanley, ils jugèrent qu’ils n’avaient pas de place pour lui. Laissé sans protection, Hadfield fut repêché par les faibles Rangers.
Recherchant de la robustesse, les Blueshirts le firent graduer immédiatement. Avec le temps, cet aspect de son jeu demeura important, mais il prit de la confiance et obtint plus de temps de glace. Se concentrant plus sur son offensive, il vit sa production augmenter de façon constante, allant jusqu’à se retrouver sur la GAG (goal a game) Line avec Jean Ratelle et Rod Gilbert.
En 1971-72, les Rangers étaient de retour parmi l’élite et la GAG Line y a clairement apporté sa contribution. Derrière Phil Esposito et Bobby Orr de Boston, le trio new yorkais occupa les 3e, 4e et 5e positions des meilleurs pointeurs de la ligue. De son côté, Hadfield amassa 106 points, en plus de devenir le premier marqueur de 50 buts de l’équipe. (Il faudra attendre 1994 avant qu’Adam Graves ne devienne le 2e.) En séries, les Rangers ont accédé à la finale pour la première fois en 22 ans, bien qu’ils aient ensuite baissé pavillon devant les Bruins.
Suite à ces performances, Hadfield s’est présenté devant l’état-major des Rangers pour négocier son nouveau contrat dans des circonstances particulières. Une nouvelle ligue, l’Association mondiale de hockey (AMH), se préparait à débuter ses activités, et dans le but de gagner de la crédibilité, elle signait à fort prix des joueurs de la LNH, incluant certains de grand calibre. Hadfield devenait ainsi une cible de choix. Pour éviter de le perdre, les Rangers lui ont donc offert un contrat de près d’un million de dollars pour cinq ans, une somme considérable à l’époque.
C’est dans cet état d’esprit que Hadfield s’est présenté au camp d’Équipe Canada, en compagnie de ses deux compagnons de trio. D’autre part, l’entraîneur Harry Sinden avait invité suffisamment de joueurs pour former deux équipes lors des entraînements. Jugeant que tous méritaient de faire partie de l’aventure, il se retrouva alors avec une grande quantité de joueurs disponibles.
Lors du premier match à Montréal, Hadfield et la GAG Line ne furent guère plus brillants que le reste de l’équipe, que l’Union Soviétique remporta 7-3 à la surprise générale. Sinden se rendit alors compte qu’il avait besoin de joueurs versatiles pouvant se replier pour faire face à une équipe en meilleure forme et qui patinait et passait amplement. Il décida donc de laisser Hadfield de côté pour le deuxième match à Toronto. Piqué au vif de rater le match dans sa ville et blessé dans son orgueil, il menaça de quitter l’équipe, ne comprenant pas que des types comme Jean-Paul Parisé et Paul Henderson jouaient et pas lui. Sinden le convainquit finalement de demeurer.
Hadfield rata aussi le match à Winnipeg, avant de jouer celui à Vancouver. Dans cette partie, une défaite de 5-3 où l’équipe canadienne fut huée et où Phil Esposito y alla de son cri du cœur dans son entrevue à la conclusion du match, Hadfield eut peu d’impact.
Entre les quatre matchs au Canada et les quatre à Moscou, l’équipe canadienne devait jouer deux matchs à Stockholm contre l’équipe suédoise. Lors du deuxième match, Hadfield a compté un but, récolté une passe, mais il a aussi asséné un violent coup de bâton au visage de Lars-Erik Sjoberg, qui lui concédait pourtant 5 pouces, et lui fractura ainsi le nez. Lors de ces matchs, Hadfield ne fut par contre pas le seul canadien qui vit son comportement être remis en question. Couplé aux résultats décevants des matchs contre les Soviétiques, les Canadiens étaient à ce moment bien loin d’avoir atteint le statut de héros nationaux, tout au contraire.
L’équipe suédoise n’était toutefois pas la seule à ne pas trouver Hadfield amical. Suivant probablement son pleurnichage constant, certains coéquipiers en furent excédés. Lors de ce match, Hadfield demanda à Bobby Clarke où il devait se positionner pour la mise au jeu. Clarke lui répondit : sur le banc…
Une fois arrivé à Moscou, Sinden a remanié ses trios. En mettant Ratelle avec Frank Mahovlich et Yvan Cournoyer, il devenait clair que la GAG Line ne tenait plus. Lorsqu’il confirma à Hadfield qu’il serait peu probable qu’il joue un autre match (contrairement à Ratelle et Gilbert), c’en fut trop pour lui. Prenant encore Parisé comme cible, Hadfield annonça qu’il quittait l’équipe.
Il y eut alors un ressac à son endroit. Sinden indiqua qu’il en avait assez et qu’il n’avait même pas tenté de le retenir. Considérant les conditions difficiles dans lesquelles les joueurs canadiens étaient à Moscou (hôtel, nourriture, etc.), l’aspect patriotique avait pris de l’ampleur. Les accusations de traîtrise et de lâcheté ne se firent pas attendre. Frosty Forrestall, le soigneur des Bruins, ne put d’ailleurs s’empêcher de décocher une flèche envers le capitaine de leurs rivaux, pendant qu’Esposito était le leader incontesté de l’équipe et qu’un vaillant guerrier des Bruins, Wayne Cashman, prenait son mal en patience. Pour Forrestall, ceci ne faisait que démontrer pourquoi Boston bottait constamment le derrière des Rangers.
Au moment de l’annonce de Hadfield, elle fut accompagnée par la même de Jocelyn Guèvremont et Richard Martin, deux jeunes joueurs qui n’avaient joué que les matchs en Suède et qui estimaient qu’il était préférable pour eux de se mettre en forme pour leur saison à venir. Comme le moral était plutôt bas à ce moment, des rumeurs commencèrent à circuler au sujet de 6 à 10 joueurs qui pourraient quitter. On mentionna les noms de Don Awrey (pourtant un Bruin), Mickey Redmond, Dale Tallon et Dennis Hull. Finalement, ceux-ci restèrent avec l’équipe. Seul Gilbert Perreault finira par quitter.
Dans la série produite récemment par CBC et diffusée du côté francophone à TVA Sports, cet épisode fut passé sous silence. On préféra plutôt mettre l’emphase sur l’adversité à laquelle les joueurs (restants) durent faire face lors de leur séjour à Moscou. Considérant que le but était de célébrer la victoire, 50 ans plus tard, on peut comprendre ce choix. Une chose est sûre, la victoire de l'équipe canadienne a permis que l'histoire de Hadfield soit éventuellement balayée sous le tapis.
Les trois joueurs en question prirent leur décision la journée suivant l’arrivée des épouses à Moscou. Il en coûta donc 2500$ pour payer les billets de retour de Monsieur et Madame Hadfield, Monsieur et Madame Guèvremont et de Richard Martin. Hockey Canada n’avait alors pas suffisamment d’argent (évidemment, les méthodes de paiement et les transferts de fonds n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, mais on peut quand même se poser des questions). Il fallut donc que Wayne Cashman contribue 500$ pour leur permettre de revenir.
Lorsque Hadfield retourna avec les Rangers, sa production diminua, bien que demeurant respectable (62 points en 63 matchs en 1972-73 et 55 points en 77 matchs en 1973-74). Il fut ensuite échangé à Pittsburgh contre Nick Beverley, dans un échange en faveur des Penguins. C’est ainsi que fut démantelée la GAG Line.
Il trouva sa place dans la ville de l’acier avec 73 points en 1974-75 et 65 points en 1975-76.
À l’été 1976, il dut subir une opération au genou, mais celle-ci n’a pas tenu le coup. S’étant reblessé en décembre et devant repasser sous le bistouri, Hadfield mit fin à sa carrière.
En 1002 matchs, sa fiche est de 323-389-712.
Au moment de sa retraite, il possédait le quatrième plus haut total chez les Rangers pour les matchs, les buts, les passes et les points. 42 ans plus tard, ces mêmes Rangers ont retiré son numéro 11.
Il possède toujours un terrain de pratique de golf à Oakville, dans la région de Toronto.
Sources:
"They also serve the team who just sit out and wait" de Ted Blackman, September 7, 1972, Montreal Gazette, page 33,
"Esposito’s goal salvages 4-4 tie" de Ted Blackman, September 18, 1972, Montreal Gazette, page 17,
"Swedes wonder if NHL a hoax" de Ted Blackman, September 18, 1972, Montreal Gazette, page 18,
"Cournoyer key figure in Sinden line change" de Ted Blackman, September 21, 1972, Montreal Gazette, page 33,
"J’ai honte d’être canadien" de Michel Blanchard, 18 septembre 1972, La Presse, page B1,
"En dépit de nouvelles tuiles, les Canadiens tiennent le coup" de Claude Larochelle, 22 septembre 1972, Le Soleil, page 10,
"Hadfield, Martin, Guevremont return home", September 22, 1972, Montreal Gazette, page 13,
"La campagne de Russie s’annonce pénible" de Michel Blanchard, 22 septembre 1972, La Presse, page B1,
"Phil Esposito stands taller as he keeps doing it all" de Ted Blackman, September 23, 1972, Montreal Gazette, page 27,
"Canada edges Russians, refs: ′Never gonna beat us again′" de Ted Blackman, September 25, 1972, Montreal Gazette, page 21,
"No.7: Esposito in nets, new refs" de Bruce Levett, CP, September 26, 1972, Montreal Gazette, page 39,
"Pens Trims Stars, 6-2, But Lose Vic Hadfield" de Bob Whitley, December 8, 1976, Pittsburgh Post Gazette, page 42,
hockeydb.com, hockey-reference.com, vichadfieldgolf.com, wikipedia.org.
2 commentaires:
Très intéressant, merci!
Un paquet de gros égos ensemble pour former une équipe nationale, pas surprenant que ce soit arrivé. La rivalité Bruins-Rangers y a aussi contribué, comme pour Équipe Canada 84 où, selon Mike Bossy, les vedettes des Oilers et des Islanders se détestaient. Quant à Hadfield, il peut remercier Ratelle et Gilbert pour sa saison de 50 buts. Gilles Tremblay a déjà mentionné que Hadfield était "un exemple de joueur qui avait ralenti après avoir signé un gros contrat."
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