Le fait que Jean Perron ait réussi à entrainer le Canadien de Montréal vers un championnat de la Coupe Stanley en 1986 m’a toujours laissé pantois. Né l’année suivant ce championnat, je n’ai eu conscience de l’existence de ce personnage alors qu’il n’entraînait plus depuis des lustres et qu’il en était réduit à occuper un rôle de commentateur d’expression plutôt gauche, pas nécessairement dans le sens politique du terme.
Environ à pareille date l’an dernier, un de mes
bons amis, qui fréquente assidument l'annuel Solde des livres des Amis de la
Bibliothèque de Montréal – un événement durant lequel cette dernière se déleste
à très bas prix d’exemplaires superflus de livres mordant la poussière sur ses
tablettes –, m'a fait parvenir un message texte qui se lisait à peu près comme
suit : « J’ai trouvé une biographie de Jean Perron à 1$, je te
l’offre! ». J’ai beau avoir une très sérieuse maîtrise en histoire
derrière la cravate, me faire présenter un bouquin de ce genre me charmera
toujours, tout autant que sa lecture.
Je n’avais aucun souvenir du lancement d’une
telle biographie. Il faut dire que la publication de Jean Perron, Profil d’un vainqueur remonte quand même à l’an 2000.
Rédigé à la première personne par un certain Étienne Marquis, à partir de
propos recueillis par un autre quidam – Jean Bouchard celui-là –, le livre en
question a été publié aux Éditions Trustar, qui était la société derrière le
magazine 7 Jours jusqu’à son
acquisition par Québécor. On est donc en droit de s’attendre à la lecture d’un
ouvrage très savant.
En vérité, à travers ces pages, Jean Perron raconte très sobrement son parcours, ressassant ses souvenirs pratiquement tels qu'ils lui viennent en tête. Le tout est présenté de manière
chronologique, soit de sa naissance en 1946 jusqu’à son bref séjour comme
entraineur du Moose du Manitoba durant la saison 1996-1997 en passant
évidemment par son tout aussi marquant que rocambolesque passage à la tête du
Canadien entre 1985 et 1988. Heureusement, ou dirais-je plutôt, malheureusement, vu les attentes que j’avais à l’égard du personnage, je n’ai noté dans cet
écrit aucune aberration linguistique ou syntaxique notable. À bien y penser,
l’utilisation fréquente de points de suspension en fin de paragraphe, comme
dans plusieurs ouvrages de ce genre d'ailleurs, finit par être agaçante pour l’œil…
Le passage de Perron comme
entraineur-chef du Canadien occupe à l'évidence la plus belle part des pages de cette
biographie. Il n’en demeure pas moins intéressant d’apprendre qu’il détient une
maîtrise en éducation physique de l’Université d’État du Michigan (Michigan State University), malgré le
fait qu’il provenait d’un milieu extrêmement modeste. Sa première expérience
comme entraineur au hockey fut également dans le milieu universitaire à la tête
des Aigles Bleus de l’Université de Moncton de 1972 et 1983. C’est ainsi qu’à
son arrivée dans le monde du hockey professionnel, il fit, selon ses propres
dires, l’objet d’une certaine méfiance. Il fut en effet étiqueté comme un universitaire,
dans le sens plutôt péjoratif du terme, dans un monde où l’intellectualisme
n’était effectivement pas des plus valorisés. C’est une étiquette que je
n’aurais certes pas cru lui voir être attribuée avant de commencer cette
lecture.
Suite à son long stage à l’Université de
Moncton, Perron devint entraineur adjoint de l’Équipe olympique canadienne en
1984, juste assez longtemps pour se rendre compte que l’entraîneur-ef Dave
King – qui fut l’adjoint d’Alain Vigneault avec le Canadien au
tournant des années 2000 – n’était pas des plus francophiles. C’est après les
Olympiques d’hiver de Sarajevo qu’il a été invité à se joindre au Canadien en
tant qu’entraineur-adjoint à Jacques Lemaire pour la saison 1984-1985. Il avait
été également sollicité par les Nordiques de Québec. Pour la petite histoire,
il semblerait que Michel Bergeron ne voulait rien savoir de cet « intellectuel
du hockey ». Comme quoi il n’en faut que très peu pour être considéré
comme un docte par rapport au Tigre.
Il n’était pas prévu que Perron devienne entraineur-chef du Canadien à court terme. Cela se produisit pourtant dès l’aube de la saison 1985-1986,
suite à la démission surprise de Lemaire. Perron soutient avoir été le premier
surpris de la tournure des événements, et il sentit que ses joueurs le furent
tout autant. Ses premiers mois à la tête du club ne furent pas des plus
reposants, l’équipe ne produisant pas à la hauteur des attentes espérées, tandis que les joueurs étaient plutôt indisciplinés. Certains
chroniqueurs sportifs se mirent même à exiger sa rétrogradation à peine
quelques semaines après son entrée en poste. Perron souleva toutefois la Coupe
Stanley au mois de juin suivant. Il en fut encore une fois le premier surpris.
Avec un championnat en poche, Perron a jugé
qu’il avait les coudées franches pour imposer ses
vues « d’universitaire » dans la culture du Canadien. Il s’entoura,
entre autres, d’un psychologue sportif et d’un nutritionniste pour optimiser
les performances de ses joueurs, de même que d’un informaticien pour développer
un système de compilation des statistiques, tout en se référant activement à la
technologie vidéo, ce qui était plutôt avant-gardiste en 1986. Son emploi
n’est pas devenu une sinécure pour autant. L’essentiel de son équipe était composée de
jeunes loups difficiles à garder en laisse. La
pression médiatique croissait quant à elle en cette seconde moitié des années 1980, alors
que les journalistes se mirent à épier jusque dans le détail même les entrainements
de l’équipe.
À peine un an après avoir remporté la Coupe
Stanley, Perron admet que la cohésion de son équipe s’était déjà altérée et qu’il a eu du mal à renverser cette tendance. Claude Lemieux, Petr
Svoboda, Chris Chelios et Shayne Corson, entre autres, lui en firent voir de
toutes les couleurs. À l’été 1988, il apprit en pleines vacances en Guadeloupe, par l’entremise de journalistes l’ayant retracé, que le Canadien n'allait pas renouveler son contrat. Le directeur général Serge Savard lui avait pourtant
promis de lui faire signer une nouvelle entente à son retour de voyage. Il en a résulté une conférence de
presse totalement surréaliste où Perron a soutenu ne pas trop savoir s’il avait été
congédié ou s’il avait été « démissionné ».
Perron affirme que ce non-renouvellement de
contrat visait en vérité à faire de lui le bouc émissaire pour les frasques commises par certains de ses joueurs. Ces incartades avaient causé de sérieux remous au sein de la très haute
direction du club – lire ici : le président Ronald Corey – qui tenait au
maintien de l’aura de respectabilité de la Sainte-Flanelle. Il juge que cela ne peut être que
la seule explication étant donné que l'équipe avait maintenu une fiche plus qu’honorable lors de ses trois saisons de gouverne. Il admet tout de même que sa présence à la tête du club n’a
jamais fait l’unanimité en raison de sa réputation « d'intellectuel ». Perron considère même que Pat Burns, qui lui a succédé
et qui était pourtant un ancien policier, n’a pas su être meilleur
que lui au plan de la discipline. N'apprivoise pas Shayne Corson qui veut.
Perron ne tarda toutefois pas à retomber sur
ses pattes en étant engagé dès le mois de juin suivant comme adjoint au directeur
général des Nordiques, avant d'être nommé entraineur-chef de l'équipe au mois de décembre de la même
année. Il estime que sa décision de joindre l’équipe de Québec fut l’une des
plus regrettables de sa carrière. L’équipe était alors en pleine déroute et la direction
n’aurait pas suivi ses conseils à l'effet qu'il valait mieux d'échanger quelques gloires, tels
Stastny et Goulet, tandis qu’ils avaient encore une valeur marchande. Il fut soi-disant vivement critiqué pour avoir remis en question la place de ces intouchables,
tant au sein de ses troupes que du côté la direction du club et des médias. Après
seulement une demi-saison plutôt chaotique à la barre des Nordiques, il fut
tassé à la faveur du grand retour de Michel Bergeron, qui revenait d'un passage avec les Rangers de New York. Perron note, non sans satisfaction, que Bergeron n’a pas fait mieux que lui,
sinon pire. Décidément, « après moi le déluge » semble être sa maxime.
C’est suite à son passage avec les Nordiques
que Perron a entamé la carrière médiatique grâce à laquelle il a laissé sa marque avec ses
fameux « perronismes ». Il n’insiste pas trop sur ce dernier sujet, préférant rappeler les divers scoops qu’il a débusqués et la compétition
féroce qu’il a encore une fois livrée à Bergeron, cette fois-ci dans l’arène radiophonique. Il consacre malgré tout un petit chapitre aux « perronismes ». Il soutient que ceux-ci ont été plutôt montés en épingle par des
journalistes et des humoristes pour ridiculiser les « joueurnalistes »
qui étaient de plus en plus présents dans les médias sportifs québécois au
début des années 1990. Perron y voit une forme de jalousie chez ces gens formés
en communication, ce qui n’était pas son cas, tient-il à le rappeler pour sa défense.
Tout compte fait, la lecture de Jean Perron, Profil d’un vainqueur –
quel titre de champion – m’a permis de découvrir un homme de hockey doté d’un
entendement que je ne soupçonnais point à l’écoute d’extraits radio et
télévisuels décousus le mettant en vedette. Produit du monde universitaire,
Perron est arrivé à la tête du Canadien muni de nouvelles idées pour optimiser
les performances de ses joueurs, ce qui a visiblement fait école. Néanmoins,
sa propension évidente à rejeter la faute sur l’un et sur l’autre, pour éviter de se remettre en question lui-même, lui a
certainement coûté une carrière d’entraîneur plus longue au sein
de la LNH. Peut-être est-il devenu trop rapidement calife à la place du calife,
et également champion par dessus le marché. Une telle tête de hockey aurait sans doute pu être un excellent entraineur adjoint se dévouant au développement des joueurs plutôt qu'à la discipline, un aspect du métier qu'il n'a jamais vraiment maîtrisé.
Cela étant dit, le Solde des livres des Amis
Bibliothèque de Montréal 2014 se déroulera du 26 avril au 4 mai à l’aréna Étienne-Desmarteau.
Si vous tombez à tout hasard sur une obscure biographie d’un personnage du
monde du hockey, vous me savez preneur.
-------
Bonus : Mon « perronisme » favori, Jean Perron qui déclare le plus sérieusement du monde que les Russes sont « difficiles à pénétrer » à la défunte émission L'Attaque à cinq - le successeur oublié de 110%. Justement, on ne le voit et ne l'entend plus beaucoup depuis la fin de ce programme. Ça ne doit pas être de sa faute...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire