Quand j’étais au secondaire, mon école avait un petit magasin où on pouvait acheter des barres de chocolat, des jujubes, des chips, mais aussi des cartes de hockey ProSet 1991-1992. Mes camarades et moi collectionnions bien entendu les cartes de Gretzky, Roy, Lemieux et compagnie. Mais je me souviens d’une carte qui nous fascinait à cause d’une coupe de cheveux bien spéciale. Non ce n’était pas la coupe Longueuil de Jagr, mais bien le Z rasé sur le côté de la tête de Jeff Lazaro. Je me suis récemment rappelé de ce détail en jasant avec Pete Peeters de LVEUP et ça m’a donné le goût de produire la biographie de ce joueur obscur qui a marqué mon imaginaire tout comme l’histoire de la première édition de mes Sénateurs d’Ottawa en 1992-1993. Je ne suis pas encore certain si le symbole dans les cheveux est un Z ou un S, mais le lien avec le Z dans LaZaro devrait clore ce grand débat scientifique.
Né au Massachusetts en 1968, le petit Jeff Lazaro (5 pieds 9) ne fut pas repêché dans la LNH après une carrière productive comme défenseur au niveau collégial américain. Il joua quatre années pour l’Université du New Hampshire (95 points en 138 parties) et décolla vraiment à sa dernière saison avec 35 points en 38 parties, dont 16 buts. Comme c’est signalé sur sa célèbre carte Pro-Set, les Bruins de Boston le découvrirent en 1990 lors d’un camp d’essai en Nouvelle-Angleterre. Remarqué pour sa grande vitesse et son excellent échec-avant, ils furent suffisamment impressionnés pour l’inviter à un vrai camp d’entraînement où il continua d’impressionner, ce qui lui permis de signer comme agent libre.
Lors de son séjour en 1990-1991 dans le club-école des Maine Mariners, il fut converti en ailier gauche et répondit très bien aux attentes (19 points en 26 parties).
Vers la moitié de la saison, il obtint sa promotion au sein des Bruins de Boston pour remplacer Bob Carpenter qui s’était blessé. Dans le grand club dirigé par Mike Milbury, Lazaro fut inséré dans une ligne pilotée par Dave Poulin et Dave Christian, en plus de jouer en désavantage numérique en compagnie de Bob Sweeney. En 49 parties, il récolta 5 buts et 13 passes (18 points). Il fut ensuite considéré comme un élément-clé du désavantage numérique des Bruins en séries alors que l’équipe se rendit jusqu’en troisième ronde contre les futurs gagnants de la Coupe Stanley de 1991, les Penguins de Pittsburgh. Parmi les faits saillants de Lazaro en séries, notons qu’il a marqué contre Patrick Roy (défaite de 3-2 en prolongation contre Montréal) et son futur coéquipier des Sénateurs Peter Sidorkiewicz (défaite de 5-2 contre Hartford).
Une carte remplie de nostalgie pour moi
Désormais sous les ordres de Rick Bowness, Lazaro débuta la saison suivante sans grand éclat, si ce n’est sa violente altercation avec le défenseur Vladimir Konstantinov lors d’une bagarre générale qui le laissa presque inconscient sur la glace comme on peut le constater dans cette vidéo du match trouvée sur YouTube. Il avait alors accusé Konstantinov de l’avoir étranglé, mais celui-ci ne semble pas avoir fait l’objet de mesures disciplinaires pour ses agissements. Fait à noter, lors de cette même bagarre générale, le légendaire Bob Probert avait reçu une suspension de 10 matchs pour s’être battu contre Stéphane Quintal.
Lazaro semble exténué après s’être battu contre Vladimir Konstantinov
dans un match fou entre Boston et Détroit
Toujours en 1991-1992, Lazaro fit un séjour dans le club-école (12 points en 21 matchs), se blessa deux fois au genou avec Boston et termina la saison régulière avec une maigre récolte de 9 points en 27 matchs. Il participa aux séries de 1992, mais ne joua que 9 des 12 matchs de son équipe en amassant une seule passe. Comparativement aux séries de 1991, sa contribution fut plus discrète alors que Boston triompha contre Buffalo (4-3) et Montréal (4-0) avant de s’effondrer encore une fois devant les double champions de la Coupe Stanley (Pittsburgh). En bref, ça ne regardait plus trop bien pour Lazaro avec les Big Bad Bruins après la saison 91-92.
C’est donc sans surprise qu’il ne fut pas protégé par Boston lors du repêchage d’expansion de la LNH de 1992. Mes Sénateurs d’Ottawa décidèrent alors d’en faire leur 10e choix comme attaquant. On plaçait de bons espoirs en lui pour sa vitesse et son potentiel offensif.
Un artiste a été payé pour peindre le portrait de Jeff Lazaro
dans le magazine Bodycheck des Sénateurs d'Ottawa en 1992
Je ne sais pas si cela avait été pris en compte dans ce choix, mais son ancien coach à Boston - Rick Bowness - venait aussi d’être nommé premier entraîneur-chef à Ottawa. Étonnamment, juste avant que la saison 1992-1993 ne commence, l’équipe décida de ne pas le protéger tout comme le vétéran défenseur Brad Marsh qui parvint malgré tout à participer au match des étoiles cette année-là! Personne ne le réclama et Lazaro fut donc somme toute « chanceux » de demeurer avec la première mouture pitoyable des Sénateurs d’Ottawa.
Très déçu que cette carte soit la seule de Jeff Lazaro avec les Sénateurs d'Ottawa.
Par contre, Lazaro avait été opéré à l’épaule pendant l’été 1992. Pour mieux se rétablir, il débuta donc la saison avec le club-école des Sénateurs à New Haven où il fit très bonne figure (25 points en 27 matchs). Il fut rappelé à Ottawa en novembre même s’il n’était pas encore complètement rétabli au niveau de son épaule. Ce rappel s’explique par la fait que l’infirmerie des Sénateurs débordait déjà à l’époque et qu’il n’y avait pas vraiment de profondeur ou de relève pour ce club naissant.
Lazaro en train d'écraser Tatarinov alors que les Sénateurs
se sont écrasés 6-1 contre les Nordiques.
Lien en prime des auteurs de la photo (Photolaser) avec "Lazer"!
En bout de ligne, Lazaro a très bien démarré sa saison à Ottawa en marquant deux buts au cours de ses trois premiers matchs. Cependant, des blessures l’empêchèrent de faire mieux que 6 buts et 10 points en 26 matchs. Il s’est d’ailleurs blessé gravement lors de la victoire historique de 3-2 contre les Sharks de San José alors que mon joueur fétiche Bob Kudelski compléta le premier tour du chapeau des Sénateurs d’Ottawa modernes. Pour couronner sa malchance, c’était le 100e match en carrière de Lazaro dans la LNH! Peu avant sa blessure contre les Sharks, le journaliste Pierre Jury du journal Le Droit avait attribué la note de C+ à Lazaro à son bulletin de mi-saison tout en l’évaluant comme « Un marchand de vitesse qui a volé le poste du vétéran Doug Smail. Enjoué dans le vestiaire, il livre la marchandise sur le troisième trio. » (Jury, 1993, p. 36).
Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que ce fut très difficile pour lui de passer d’une équipe dominante (Bruins) à une des équipes les plus faibles de l’histoire de la LNH. C’est d’ailleurs ce qui ressort de son témoignage après un 18e match sans victoire où il avait quand même marqué un superbe but selon le journaliste Marc Brassard : « Je viens tout juste d’arriver, mais c’est évident que les gars sont un peu découragés. […] Il faut essayer d’arriver à l’aréna avec le sourire aux lèvres quand même. » (Brassard, 1992, p. 66).
Dans la seule vidéo disponible sur YouTube où le focus est mis sur Lazaro lors de son séjour à Ottawa, on le voit se faire donner du coude dans face par Petr Svoboda et tomber par terre comme un sac de patates. J’aurais espéré trouver un de ses buts, mais les fans de hockey préfèrent partager les gooneries :
Simonac qu'il se fait ramasser!
Après avoir été remercié par Ottawa à la fin de la saison, Lazaro s’aligna avec l’équipe américaine en 1993-1994. Il retrouva alors sa touche offensive en ramassant 43 points en 43 matchs, dont 18 buts. Il représenta aussi son pays au championnat du monde de hockey masculin de 1993. Les États-Unis finirent 6e au tournoi après avoir perdu 5-2 contre la Suède en quarts de finale. Lazaro termina le tournoi en récoltant 2 buts en 4 matchs.
Intensément américain!
Il eut ensuite l’honneur de participer à titre d’assistant aux Jeux olympiques de 1994 à Lillehammer. Il épaula ainsi le futur entraîneur de la LNH Peter Laviolette qui agissait alors comme capitaine des États-Unis.
Les Américains n’avaient pas une très bonne équipe à l’époque. Ils comptaient principalement sur des joueurs de second plan comme les attaquants Brian Rolston et Todd Marchant et les gardiens Mike Dunham et Garth Snow. Ils offrirent une performance médiocre en ronde de qualification en obtenant une seule victoire en cinq matchs (7-1 contre l’Italie), en plus de donner le seul point obtenu par la France au tournoi dans un match nul fort gênant de 4-4. Ils se firent ensuite pulvériser 6-1 par la Finlande en quarts de finale, terminant ainsi leur aventure olympique en 8e place. Lazaro obtint tout de même deux buts et deux passes en 8 matchs à Lillehammer. On peut d’ailleurs regarder un de ses buts dans ce match perdu 5-2 contre la République tchèque :
Le but de Lazaro est présenté par un commentateur européen francophone! :)
A la suite des olympiques, il revint temporairement dans le giron des Bruins de Boston en s’alignant avec leur club-école de Providence pendant 16 parties (7 points). Il mit ensuite le cap pour l’Europe et fit très bonne figure pour le EC Graz en Autriche, avec 43 points en 43 matchs, bon pour le 10e rang des pointeurs du circuit. Fait obscur à noter, le meneur de la ligue autrichienne en 1994-1995 est un albertain du nom de Jackson Penney qui a brûlé la ligue avec 75 points dont 48 buts en 38 parties. Méritera-t-il un texte sur LVEUP? Ça étonnerait même Jackson Penney!
Jeff Lazaro signa ensuite avec les Lions de Ratingen en Allemagne. Son équipe se plaça en milieu de peloton en 1995-1996 et termina sa course en première ronde des séries. Lazaro connut une très bonne saison avec 71 points en 49 parties, ce qui le classa 7e meilleur pointeur de la ligue allemande. Il fit donc mieux que Mike Bullard (8e avec 70 points), mais moins bien que Sergei Berezin (4e avec 80 points), John Chabot (3e avec 81 points) et Robert Reichel (1er avec 101 points). Oui c’est le festival du name dropping et avouez que vous aimez ça!
Toujours aussi intense, mais avec le numéro 66!
Le Mario Lemieux allemand! Non pas vraiment...
L’année suivante fut moins reluisante pour les Lions de Ratingen. L’équipe termina alors dernière de la ligue allemande avec seulement 9 victoires en 48 matchs. Lazaro vit sa production chuter de moitié (36 points en 44 matchs), mais il eut tout de même la chance de jouer quelques matchs avec Ken Hodge Jr., un célèbre feu de paille qui s’illustra lui aussi avec les Bruins de Boston. Je sais, je sais, je namedrop à en faire râler les sourds-muets, mais c’est tellement exaltant de faire ça pour un auditoire aussi gigantesque!
Lors de la saison 1997-1998, Lazaro revint en Amérique du Nord par la petite porte du hockey professionnel en joignant une nouvelle franchise de la ECHL en Louisiane: le New Orleans Brass. Le premier logo de l’équipe (trouvé uniquement sur HockeyDB) était très discutable, car il présentait un joueur de hockey qui frappe une rondelle avec un saxophone :
Seule image disponible sur le web de cet horrible logo
Donc quand vous chiâlez contre un chandail de la LNH que vous ne trouvez pas beau, pensez aux fans du Brass avec leur torchon musical. Et savourez du même coup cette hallucinante publicité qui invitait les louisianais à aller voir le Brass en 1997!
Publicité du New Orléans Brass en 1997 : ça donne le goût de regarder le baseball!
Le dernier logo de l’équipe fut beaucoup mieux réussi avec des colliers que les gens se lancent lors du Mardi Gras et le mot Brass entubé dans une trompette.
Logo du Brass (2000-2002)
Côté performances, l’équipe n’arriva pas à se rendre bien loin en séries pendant son éphémère existence (1997-2002). L’équipe ne connut qu’un seul entraîneur, Ted Sator, un coach qui n’a jamais réussi à conserver un poste plus de deux ans dans la LNH. Je constate cependant que Sator connaissait déjà Lazaro puisqu’il avait été son entraîneur adjoint lors de la première et meilleure saison de Lazaro avec les Bruins de Boston (1990-1991). C’est donc à se demander si ce n’est pas Sator qui l’invita à se joindre au Brass lors de sa création!
Pendant son séjour en Louisiane, Lazaro fit très bonne figure en terminant 5e meilleur pointeur de la ligue en 1997-1998 avec 101 points, dont 37 buts. Lors du match des étoiles de 1998, Lazaro en profita pour établir le record du patineur le plus rapide de l’histoire de la ECHL avec 13,395 secondes (Solar Bears, 2015). Il semble avoir fait le saut très temporairement dans la AHL à la fin de cette même saison, puisqu’il joua en séries pour les Bulldogs de Hamilton (5 points en 8 matchs).
Rare image de Lazaro jouant avec le Brass (capture d'écran YouTube).
En 1998-1999, Lazaro revint exceller avec le Brass en saison (71 points en 52 matchs) comme en séries (16 points en 11 matchs). La même année, il retourna dans l’AHL avec les Red Wings d’Adirondack (10 points en 16 matchs), mais il perdit son poste après avoir été arrêté par la police pour conduite en état d’ébriété. Il fut alors renvoyé pour de bon dans l’ECHL avec le New Orleans Brass où il devint joueur-entraîneur jusqu’à la fin de sa carrière après la dissolution de l’équipe en 2002.
Le Brass de New Orleans ne remporta pas de championnat avec Lazaro, mais celui-ci eut comme coéquipiers notables Gordie Dwyer (ancien joueur des Canadiens de Montréal puis longtemps entraîneur dans la LHJMQ), le grand voyageur Kimbi Daniels et le gardien Patrick Charbonneau, un ancien choix de 3e ronde de mes Sénateurs d’Ottawa qui a passé toute sa carrière dans les ligues mineures.
Reportage de 2018 où on voit Lazaro jouer notamment avec le Brass de New Orleans
Le plus ironique dans la carrière de Jeff Lazaro, c’est qu’une bière a récemment été nommée en son honneur par la Hampline Brewing Company, une entreprise basée à Memphis au Tennessee. Il s’agit d’une bière belge épicée et fruitée au nom « francophone » : Le Lazer!
Capture d'écran tirée du site web de la Hampline Brewing Company (janvier 2025).
C’est incroyable de constater qu’une simple image de carte de hockey avec un Z boucle la boucle avec une bière nommée Lazer quelques décennies plus tard! C’est ça la magie du web et surtout de La Vie Est Une Puck! On vous raconte des histoires passionnantes avec les retailles du hockey! :)
Terminons sur une note encore plus positive en soulignant que selon son compte Instagram personnel, Jeff Lazaro serait aujourd’hui un homme marié et père de 6 enfants qui œuvre dans le domaine des assurances. Peut-être qu’un de ses enfants deviendra un petit laser dans le hockey professionnel avec un gros Z dans les cheveux!
Références:
Ballou, B. (1999, 2 novembre). Carolina prospect gets ready for prime time. ESPN. https://www.espn.com/nhl/s/1999/1101/145908.html
Brassard, M. (1992, 19 juin). Bowness s’est dit heureux des joueurs à sa disposition. Le Droit. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4520826
Brassard, M. (1992, 18 novembre). Enfin le fond du filet. Le Droit. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4520982
Jury, P. (1992, 19 décembre). La liste des blessés d’allonge: Ce pourrait être encore pire pour les Sénateurs. Le Droit. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4521013
Jury, P. (1993, 11 janvier). Les Sénateurs à la mi-saison: le temps des bulletins… Le Droit, p. 36. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4523093
Laflamme, R. (1992, 28 décembre). Déjà 20 victoires en 38 matches: Les années se suivent… sans se ressembler. Le Quotidien, p. 26. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4224973
Mike. (2024, 13 juin). Tank 7-inspired ‘Le Lazer’ Saison returns to Hampline Brewing. Memphis Beer Blog. https://memphisbeerblog.com/2024/06/13/le-lazer-saison-returns-to-hampline-brewing/
Presse canadienne. (1992, 4 octobre). Liste des joueurs non protégés. Le Soleil, S-4. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2927478
Solar Bears. (2015, 13 janvier). Solar Bears announce All-Star Skills Competition participants. https://orlandosolarbearshockey.com/news/2015/01/solar-bears-announce-all-star-skills-competition-participants-1597
Wikipedia.
HockeyDB.
Images: Ebay, YouTube, magazine Bodycheck, HockeyDB
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