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samedi 28 août 2021

The Game (ou L'enjeu ou Le match) de Ken Dryden



Il y a parfois des incontournables que, pour une raison tout à fait inexplicable, on finit par contourner.

J’ai une grande admiration pour Ken Dryden, qui a un parcours qui sort du lot et qui a toujours fait les choses à sa manière. Que ce soit en prenant le chemin universitaire (chose rarissime dans les années 1960 pour un joueur qui aspirait à une carrière dans la LNH), en refusant le contrat qu’on voulait lui imposer pour plutôt aller terminer son droit en 1973, en prenant sa retraite très tôt pour se consacrer à son après-carrière et j’en passe, Dryden a mené sa carrière comme lui l’entendait.

J’ai aussi lu de nombreux livres au sujet du hockey, et il s’adonne que Dryden en a écrit un des plus renommés. Lorsqu’en 2002, le Sports Illustrated a dressé son top 100 des meilleurs livres de sport de tous les temps, The Game (traduit en français par L’enjeu ou Le match, dépendamment des éditions) s’est classé neuvième (et premier pour le hockey). Sorti en 1983, il a fait l’objet de nombreuses rééditions et est toujours disponible.  

J’avais donc toutes les raisons du monde pour le lire et pourtant, jusqu’à récemment, je ne l’avais pas fait.

Le cœur du livre est le suivant : au cours de la saison 1978-79, n’étant pourtant âgé que de 31 ans, jouant pour les triples champions de la Coupe Stanley et ayant remporté le Trophée Vézina au cours de ces trois mêmes années, Dryden songe pourtant à la retraite. À partir de ce moment, on l’accompagne dans sa réflexion, lors de sa décision, ainsi que dans son quotidien, autant sur la glace, hors glace que dans sa vie personnelle. L’intellectuel qu’est Dryden ne se contente évidemment pas de décrire la situation. Il y va de son analyse et de sa vision des choses.

On le voit entre autres pleinement conscient des sacrifices que ses choix professionnels imposent à son épouse et ses enfants et discuter de ces partisans qui sont si souvent à l'entrée du Forum pour les solliciter que les joueurs viennent à les connaître.

Dans la chambre, il consacre plusieurs paragraphes (dispersés dans le livre) à décrire ses coéquipiers, sans condescendance mais sans complaisance. Les innombrables tours pendables de Pointu (Guy Lapointe). Le tempérament fougueux de Mario Tremblay.  Réjean Houle, à la fois cible de nombreux quolibets, mais aussi tellement appréciatif de la chance qu’il avait, lui qui venait d’un milieu modeste. Larry Robinson, le géant qui préférait jouer autrement que physiquement pour exprimer son talent. Bob Gainey, le valeureux guerrier au talent malgré tout limité (en attaque du moins). Le talent extraordinaire de Lafleur. De toute évidence, Dryden avait des atomes crochus avec Doug Risebrough, qu’il décrit comme une personne foncièrement bonne. Peut-être un peu moins avec Steve Shutt, qu’on perçoit comme un peu puéril, faisant des blagues qu’il semblait le seul à trouver drôle. Dryden a aussi pris le temps de s’attarder au travail sans relâche, important mais dans l’ombre, du préposé à l’équipement Eddy Palchak.

Cette équipe était bien consciente de son excellence. Dryden y va de réflexions au sujet de matchs où, devant des adversaires beaucoup plus faibles, même une victoire apportait des frustrations si la performance était jugée trop ordinaire. Il y va aussi d’analyses qui peuvent presque paraître arrogantes de certains adversaires, entre autres les Flyers et les Leafs, l’équipe de son enfance.

D’ailleurs à un moment où on mentionne souvent que les joueurs ne veulent plus jouer à Montréal à cause de la pression étouffante, malgré que les Canadiens n’aient pas gagné la Coupe depuis près de 30 ans, il est surprenant de constater qu’à cette époque, pourtant dominante, l’équipe ressentait aussi une telle pression. La victoire semblait un acquis. Dryden, le meilleur gardien de la ligue, se faisait régulièrement crier "On veut Larocque!" après un mauvais but. Au début de sa carrière, il sentait qu’il pouvait faire une différence et faire gagner l’équipe. À la fin, il voyait plutôt son rôle comme étant de veiller à ne pas la faire perdre. Une défaite sur la route contre les Islanders, une équipe en pleine progression, n’aurait pas dû être perçue comme déshonorante. Pourtant, lorsqu’elle se produit, on sent que c’est la fin du monde.

Voyant les troupes vieillir et n’envisageant pas comment elles pourraient maintenir la cadence (et encore moins l’augmenter) pour répondre à ces attentes considérables, il a préféré passer à autre chose, non sans ajouter une quatrième Coupe Stanley consécutive et un autre Trophée Vézina (partagé avec Michel Larocque) à la fin de la saison.  Jamais Dryden n’emploie de tels mots, mais en lisant ceci, j’ai eu l’impression qu’en traversant une ligne, l’exigence d’un public devient de l’ingratitude, ligne qu’a allègrement franchi le très gâté public montréalais (15 Coupes en 24 ans). Exigence qui, à mes yeux, a éventuellement aussi coûté cher aux Alouettes et aux Expos.

Sur une base plus macro, Dryden réfléchit au sujet de la violence dans le hockey, de l’influence des Soviétiques et de l’importance du hockey dans la culture canadienne. Il s’attarde aussi à la tentative ratée d’américanisation du hockey, avec les expansions à tous crins des années 1970, qui culmine avec l’échec médiatique de la Coupe du défi.

Dryden démontre également que pendant ses années à Montréal, ville qu’il a appréciée, il n’a pas vécu dans une bulle. Considérant le Montréal anglophone petit et restreint, il se devait d’embrasser la ville au complet, côté franco inclus. Politiquement en ébullition, il a vu le déroulement des années 1970 au Québec. On sent qu’il comprend ce qui s’y passe et qu’il s’y intéresse. Il parle du rôle identitaire des Canadiens au Québec, de la dynamique franco/anglo de la chambre et de la montée du Parti québécois.

Il mentionne aussi son passage à l’émission de Lise Payette, Appelez-moi Lise, en 1972, où il a angoissé, croyant que son français n’était pas assez bon (comme c’est souvent le cas chez les anglophones). Bien sûr qu’il n’a pas la même éloquence en français qu’en anglais, mais il demeure qu’on lui a parlé positivement de cette entrevue pendant des années.

Lors de la réédition de 2003, vingt ans après sa sortie, un chapitre a été ajouté où il couvre la fin de la domination des Canadiens, le rôle croissant de l’argent et l’impact qu’a eu Wayne Gretzky. Il fait également l’inventaire de tous ses anciens coéquipiers qui occupaient des postes dans la LNH incluant, à sa grande surprise, Steve Shutt, qui a été assistant-entraîneur.

À noter que la traduction a été refaite en 2008, puisque celle-ci n'était pas à la hauteur aux yeux de Dryden, et confirmé par mon collègue Kirk McLean.  Donc, à garder en tête si vous magasinez du côté des livres d'occasion.

Il s’agit donc d’un livre qui ratisse large, réfléchi, franc, écrit dans un style assez littéraire et qui offre un accès privilégié à tout ce qui touche de près ou de loin au hockey. Le fait qu’il se passe au sein des Canadiens ajoute bien sûr à l’intérêt, puisque les références nous sont plus familières, autant au niveau sportif que sociologique.

À lire donc, si ce n’est pas encore fait.

Source :

Dryden, Ken, The Game, HarperCollins, Toronto, 1983 (réédition de 2013),

"The Top 100 Sports Books of All Time" de Pete McEntegart, L. Jon Wertheim, Gene Menez et Mark Bechtel, December 16, 2002, Sports Illustrated (sportsillustrated.cnn.com).

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