L’origine de l’expression ″tour du chapeau″, c’est comme l’invention de la poutine. Il y a plusieurs versions et chacun est convaincu d’avoir la vérité. En fait, il y a probablement un peu de vérité à chaque endroit.
D’abord, l’expression elle-même viendrait de l’Angleterre au 19e siècle et serait reliée au cricket. Elle consistait à désigner la performance d’un lanceur qui retirait trois batteurs consécutifs. En 1858, à Sheffield, H.H. Stephenson avait réalisé cet exploit. On fit alors une collecte, avec laquelle on lui acheta un chapeau.
Mais comment a-t-elle traversé l’océan, pour être associée au hockey?
Une version est liée à Alex Kaleta, un joueur d’avant des Black Hawks de Chicago. Le 26 janvier 1946, lors d’un voyage à Toronto, il se présenta chez un chapelier, Sammy Taft. Détail intéressant, avant d’exercer ce métier, Taft avait travaillé dans sa jeunesse pour la première version des Senators d’Ottawa, disparus en 1934. À ce moment, son rôle était celui de mascotte, mais à cette époque, ça n’avait rien à voir avec le fait de revêtir un costume pelucheux et d’amuser les spectateurs. Il s’agissait plutôt d’un jeune qui servait de porte-bonheur à l’équipe et qui effectuait de petites commissions, comme acheter des oranges ou du tabac à chiquer, lorsqu’il y avait un besoin.
Kaleta essaya plusieurs chapeaux et Taft lui en recommanda un. Kaleta lui aurait alors répondu qu’il n’avait pas les moyens de se le payer. Taft rétorqua alors que s’il comptait trois buts lors de son match, il lui donnerait. Ce soir-là, contre Frank McCool des Leafs, non seulement Kaleta en compta trois, mais il en marqua même un quatrième. Toutefois, Toronto parvint tout de même à l’emporter par la marque de 6-5. Taft tint promesse et donna le chapeau à Kaleta.
À noter par contre que dans cette version, Taft ne fait aucunement référence au cricket. Selon lui, qui a conservé son commerce pendant de nombreuses années et qui est décédé en 1994, cette offre à Kaleta lui est venue de façon tout à fait impromptue. Taft a continué cette offre jusqu’au milieu des années 1950.
Cette version est celle reconnue par le Temple de la renommée.
Une autre version vient de Guelph. De 1940 à 1942, il y avait une équipe junior commanditée par la Guelph Biltmore Hat Company, un fabricant de chapeaux. Celle-ci s’appelait les Biltmore Mad Hatters de Guelph. Au retour de la guerre, l’équipe renaquit. Elle redébuta ses activités en 1947, en tant que club affilié aux Rangers.
Le lien entre le commanditaire et les chapeaux est donc facile à faire. Lorsqu’un des joueurs marquait trois buts, le président de l’entreprise, Norm McMillan, lui donnait un fédora. Si on fait référence à la deuxième incarnation de l’équipe, nous sommes donc après l’anecdote de Kaleta, qui date de 1946, donc l’année avant le retour de l’équipe, mais ce n’est pas clair.
Les Biltmore Mad Hatters ont remporté la Coupe Memorial en 1952, avec des joueurs comme Lou Fontinato, Andy Bathgate, Harry Howell, Ron Stewart et Dean Prentice.
La troisième version est plus près de nous, à Montréal.
Institution de la rue Sainte-Catherine, le chapelier Henri Henri est ouvert depuis 1932.
Sur leur site internet, ceux-ci font d’abord référence au fait de saluer du chapeau une personne en signe d’appréciation. Encore une fois, il n’y a pas de référence au cricket.
| Bobby Hull, Stan Mikita, Phil Esposito et Chico Maki reçoivent leur chapeau de Henri Henri |
On y mentionne également l’exploit d’Alex Kaleta. On ne prétend donc pas avoir inventé l’expression. Toutefois, on indique l’avoir popularisée, alors que dans les années 1940, 1950 et 1960, l’entreprise offrait un chapeau gratuitement à tout joueur ayant marqué trois buts en un match, que ce soit un Canadien ou un adversaire. Lorsque les spectateurs lançaient alors leur chapeau sur la patinoire, les employés du Forum les ramassaient pour les mettre à un endroit où il était possible de le récupérer à la fin du match. On y insérait un calendrier des Canadiens (″cédule″), où il était écrit ″Hé Joe! Ce n’est pas ton chapeau, prends-en un autre″, avec les coordonnées de Henri Henri. On voulait ainsi dissuader quelqu’un de prendre un chapeau qui n’était pas le sien et, dans ce cas, l’inciter à en acheter un. L’entente avec le Tricolore impliquait aussi que Henri Henri paie pour faire imprimer suffisamment de ″cédules″ pour qu’elles soient également distribuer chez Esso.
À la même époque, il y avait aussi un tirage entre la deuxième et la troisième période, où le prix était un chapeau de Henri Henri.
On pourrait donc conclure que le tout a débuté à Toronto. La contribution de Guelph semble être arrivée plus tard. Quant à Montréal et Henri Henri, selon leurs propres mots, ils ont popularisé le rituel, mais pas inventé l’expression.
| Henri Henri a longtemps été sur Ste-Catherine Est, au coin Hôtel-de-Ville, mais il a depuis déménagé. |
| Le nouveau site est toujours sur Ste-Catherine Est, mais au coin St-Denis. Le déménagement semble récent, puisqu'au moment d'écrire ces lignes, le site internet fait encore référence à l'ancienne adresse et le nouveau magasin n'a pas encore d'affiche. |
Sources :
″Vive le football d’octobre et de novembre!″ de Ronald King, 30 octobre 2006, La Presse, page S8,
″Le tour du chapeau (suite)″ de Ronald King, 31 octobre 2006, La Presse, page S6,
″Guelph’s tricky claim″ de Janet MacLeod, March 21, 2009, Guelph Mercury (guelphmercury.com),
″Meet the man responsible for all those hats in Philly. Not Wayne Simonds, it is Sammy Taft.″ de Brian Costello, April 30, 2014, The Hockey News (thehockeynews.com),
″Hockey’s ′hat trick′ traces roots to cricket″, October 6, 2017, NHL (nhl.com),
henrihenri.ca, hockey-reference.com.

1 commentaire:
Beau travail de recherche. Merci keithacton.
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