Qui gardera les buts au prochain match? Price ou Budaj? Question des plus communes. Pourtant, il fut une époque où cette question était simplement futile. Il n’y avait qu’un seul gardien. Point. Il devait jouer tous les matchs, à moins d’un cas de force majeure. Il se devait donc d’être endurant. Et résistant car, ne l’oublions pas, les gardiens n’avaient pas de masque. Ils avaient beau avoir perdu du sang, les os des joues en miettes ou le nez qui pointait vers le côté, ils avaient avantage à continuer.
Si un problème arrivait sur la route et que le gardien déclarait forfait, l’équipe devait s’en remettre à un gardien que l’équipe hôte s’engageait à mettre à sa disposition. Dans ces circonstances, pas difficile de comprendre que le premier critère d’embauche n’était pas nécessairement la qualité de son jeu. Il pouvait être jeune et vert, ou simplement un semi-pro qui acceptait d’aller s’asseoir dans l’aréna pour quelques dollars. Si le gardien régulier subissait une blessure, lorsque l’entraîneur lui demandait s’il était en mesure de continuer, il y avait une pression énorme pour répondre oui. Personne ne voulait vraiment qu’on aille dire au gardien « mis en disponibilité » de se diriger au vestiaire et de s’habiller.
Donc, en plus d’avoir un risque permanent de se faire démolir le visage, il y avait cette pression constante de montrer qu’on était capable d’en prendre. Et même si la blessure survenait à l’entraînement et que l’équipe avait le temps de rappeler un autre gardien, elle devait souvent s’en remettre à quelqu’un qui n’avait pas fait ses preuves dans la grande ligue.
Bill Durnan |
La pression sur les épaules du gardien, déjà grande en tant que dernier rempart, l’était encore plus. Tellement que celle-ci laissait des traces parfois dramatiques. Bill Durnan joua sept saisons avec les Canadiens. Il était le meilleur de sa profession. Il gagna le Trophée Vézina à six reprises. (Seul Turk Broda parvint à lui arracher en 1947-48.) Pourtant, son travail le rendait complètement malade. Il ne pouvait pas garder un repas avant un match et la veille, il ne pouvait plus dormir. Il sombra dans une dépression et en 1950, malgré un autre Trophée Vézina et une autre nomination sur la première équipe d’étoiles, il décida qu’il en avait assez. L’entraîneur Dick Irvin et le directeur-gérant Frank Selke le convainquirent malgré tout de jouer une autre saison, en plus de jouer les séries de l’année en cours et ce, tout en gardant l’information secrète.
Les Canadiens affrontèrent alors les faibles Rangers en première ronde et les choses tournèrent mal. Les Blueshirts prirent les devants 3-0 dans la série. C’en fut trop. Durnan quitta pour de bon et ne revint jamais. Le Tricolore dut s’en remettre à Gerry McNeil, qui n’avait joué que quelques parties au cours de la saison. Il parvint à stopper l’hémorragie, mais seulement pour l’espace d’un match. Montréal perdit la série en cinq.
McNeil eut finalement sa chance, lui qui l’attendait patiemment depuis quelques années. Pourtant, lui aussi, son rêve tourna au cauchemar. Après quatre ans (et une Coupe Stanley en 1953), il avait lui aussi complètement perdu le sommeil. Au camp d’entraînement de 1954, il annonça à Frank Selke qu’il abandonnait le hockey. Il accepta une offre pour opérer une station-service et ne chaussa pas les patins au cours de la saison 1954-55. Il revint par la suite avec le Royal de Montréal de la Ligue Senior et dans la Ligue Américaine. Il revint aussi avec le Tricolore en 1956-57, le temps de jouer neuf matchs en remplacement de celui qui prit sa place, Jacques Plante.
Plante souffrit aussi de cette pression. Asthmatique, il eut rapidement la réputation d’être fragile. Il souffrit également d’un épuisement émotionnel, alors qu’après la victoire de la Coupe Stanley en 1958 (la troisième consécutive), il s’effondra. Il dut être sorti de la glace par le publiciste Camil Desroches et le physiothérapeute Bill Head. Une fois au vestiaire, il éclata en sanglots.
Plante désirait améliorer son sort, ainsi que celui de ses collègues. Il fut évidemment le premier à porter un masque régulièrement le 1er novembre 1959, malgré ce qu’en pensait le reste du monde du hockey (voir texte du 31 octobre 2009). Mais il fut également un des plus vocaux partisans du système à deux gardiens de but. C’est finalement dans les années 1960 qu’il fut adopté. Roger Crozier, des Red Wings, fut le dernier à jouer tous les matchs de son équipe en 1964-65. La même année, Johnny Bower et Terry Sawchuk des Leafs se partagèrent le Trophée Vézina, une première. À partir de là, sauf de rares exceptions, il fut toujours remporté par un duo. (Le statut du Vézina a changé à partir de 1981-82 et depuis, c’est le Trophée Jennings qui est devenu son équivalent.)
L’expansion de 1967 (passant de 6 à 12 équipes) dilua le talent. De plus, avec l’ajout de clubs au Minnesota, à St-Louis et en Californie, elle ajouta de plus longs voyages. Elle permit également à quelques vieux routiers de prolonger leur carrière. Plante forma d’ailleurs un duo avec son ancien rival, Glenn Hall, au sein des Blues de St-Louis, qui lui permit de mettre la main sur un dernier Vézina en 1968-69. À partir de ce moment, plus personne ne doutait de la nécessité du duo.
Depuis, même si certains gardiens comme Tony Esposito, Bernard Parent, Grant Fuhr et Martin Brodeur ont déjà joué un énorme pourcentage des matchs de leurs équipes, il y a toujours un réserviste sur le banc et un retour en arrière est simplement impensable.
Sources : Denault, Todd, « Jacques Plante : the man who changed the face of hockey », McClelland & Stewart, 2009.
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