S’il y a une série que j’adore particulièrement écrire sur le blogue, c’est bien celle des « grands voyageurs ». J’adore parler de ces « journeymen », comme le légendaire Mike Sillinger, titulaire du record de la LNH pour avoir joué avec 12 équipes. Ces joueurs sont toujours les sujets d’intéressantes histoires folkloriques, que ce soit par leur mode de vie nomade, les nombreuses équipes et ligues où ils ont joué ou bien ces histoires de marathons de matchs successifs. Mais parfois, on tombe sur des histoires plus troublantes qui viennent nous chercher. Le genre d’histoire à faire pleurer, comme moi durant mes recherches initiales pour ce texte.
Paul Vincent est né le 5 janvier 1975 à Utica dans l’état de New York. Costaud joueur de centre de 6’5’’ et 200 lb avec un certain flair offensif, il fut choisi par les Maple Leafs de Toronto en sixième ronde du repêchage de 1993 après une saison passée à l’école préparatoire Cushing Academy au Massachusetts. Il évolua quelques saisons dans le système des Maple Leafs, mais comme bon nombre d’espoirs, il ne se rendit jamais dans la LNH. Il débuta plutôt un long parcours avec un nombre impressionnant d’équipes dans pratiquement toutes les ligues professionnelles possibles d’Amérique du Nord et d’Europe.
Lorsqu’on découvre les histoires de ces joueurs nomades, on est d’abord amusé puis étourdi par tant de mouvement. On pense premièrement que ce ne doit pas être facile de vivre une existence aussi instable à trimbaler ses valises d’une ville à l’autre. Difficile de fonder une famille et d’en rester proche par exemple. On se dit toutefois que l’amour du jeu l’emporte sur tout et qu’il y a toujours pire dans la vie. Mais dans le cas de Paul Vincent, il y a effectivement eu pire et le mode de vie précaire de joueur de hockey n’était vraiment pas si terrible, considérant la manière dont sa vie a commencé.
Les deux jeunes frères, dont un encore trop jeune pour marcher, vécurent dans la rue, squattant des immeubles abandonnés et mangeant dans les poubelles. Le jeune Tyrone aurait même été suffisamment affamé pour avoir à se rabattre sur des écailles de peinture. Des docteurs émirent plus tard l’hypothèse que cette peinture devait contenir du plomb, ce qui lui aurait causé des déficiences de développement et d’apprentissage. Ils ont vécu environ six mois dans ces conditions terribles avant d’être enfin recueillis par les services sociaux. Ils passèrent ensuite trois ans dans un orphelinat de Boston pour être finalement tous les deux adoptés par Paul Vincent Sr. et sa femme Sylvia.
Vous comprenez alors que l’inaccessible LNH et les nombreux voyages en autobus ne sont vraiment pas des tragédies pour lui. Dans une rare entrevue accordée au Augusta Chronicle en 2001, Vincent déclara que d’être abandonné par sa mère fut probablement la meilleure chose qui lui soit arrivé. S’il était resté dans cette famille, il croit qu’il aurait abouti dans un gang de rue ou qu’il aurait été davantage maltraité par sa mère.
Mais au lieu de ça, il a rejoint une famille aimante et fut rebaptisé du nom du père, soit Paul Vincent Jr. Le paternel était le fondateur d’une des meilleures écoles de patinage aux États-Unis et fut longtemps entraîneur dans la NCAA pour Boston College et la Rensselaer Polytechnic Institute. Il quitta momentanément ses fonctions dans les années 90 alors que sa femme était malade (elle mourut en 1997) mais revint par la suite comme entraîneur en perfectionnement du patinage à l’emploi du Lightning, des Bruins, des Blackhawks et plus récemment des Panthers.
Paul Vincent Sr. comme assistant entraineur à Chicago |
Il joua dans l’ordre pour les Amstel Tijgers, HYS The Hague, Eindhoven Kemphanen ainsi que les superbement nommés « A6.NL Heerenveen Flyers »... On dirait davantage une section de formulaire qu’un nom d’équipe de hockey. Il joua aussi quelques matchs en Norvège à travers tout ça. Il prit sa retraite après la saison 2011-12, mais demeura aux Pays-Bas comme assistant-entraîneur en deuxième division hollandaise en plus d’entraîner l’équipe des M18 et M20. Il s’établit par la suite en Belgique comme entraîneur-chef du HYC Herentals, également dans cette ligue des Pays-Bas, où il reprit même du service comme joueur-entraîneur durant quatre matchs en 2014-15. Il fut ensuite entraîneur des Bulldogs de Liège dans la ligue du Bénélux, formée de l’union des ligues hollandaise et belge, où il rechaussa encore les patins pour quelques matchs.
Au final, Paul Vincent aura donc joué professionnellement pour 26 équipes en Amérique du nord dans 10 ligues différentes et pour huit autres équipes en Europe. En regardant de plus près, je crois qu’il est un des seuls à avoir joué dans toutes les principales ligues mineures de son époque (AHL, IHL, ECHL, UHL, WPHL, CHL, ACHL, WHA2, SPHL et LNAH). Il y a peut-être une ou deux autres ligues que j’oublie, mais rendu là, c’est très profond...
Il demeure très en contact avec son frère Curtis, toujours établi au Massachusetts. Pour sa part, Paul Vincent Sr. a pu amener la Coupe Stanley dans la famille en 2010 alors qu’il était à l’emploi des Blackhawks. Il s’implique toujours à Dartmouth College dans la NCAA, mais seulement à titre bénévole. Vincent Sr. fut au coeur de la saga Kyle Beach avec les Blackhawks en 2010. Après avoir été agressé sexuellement par un des entraîneurs adjoint des Blackhawks, la première personne à qui s’est confié Beach fut Paul Vincent, qui fut également la première personne que Beach remercia lorsqu’il sortit de l’ombre en 2021.
Et comme tout bon journeyman légendaire qui se respecte et qui n’arrête jamais, j’apprends, plusieurs mois après l’écriture initiale de ce texte, que Paul Vincent Jr était de retour en action en 2021-22 comme joueur en quatrième division hollandaise avec le club Alcmaria Flames Alkmaar. Désormais âgé de 47 ans, il a obtenu 15 buts en 5 matchs... Depuis, il chausse également les patins au moins une fois par saison, j'imagine pour dépanner son équipe, cette fois-ci les Lions de Dordrecht, toujours en 4e division néerlandaise...
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