Voici l'histoire d'un joueur qui m'intrigue depuis des années. Ayant été trop jeune pour l'avoir vu évoluer dans la LNH, ce n'est que plus tard que je l'ai découvert et il réside dans mon subconscient depuis ce temps. Je me suis toujours dit que je me devais d'en savoir plus à son sujet un jour et donc aujourd'hui voici l'histoire d'Alan Haworth, un joueur qui fit partie de deux transactions complètement à l'opposée en terme d'importance dans l'histoire des Nordiques; une première transaction majeure qui demeure probablement la plus importante de l'histoire de l'équipe et une autre très mineure qui demeure à ce jour une des anecdotes les plus loufoques de l'histoire de la ligue...
Né le 1er septembre 1960, l'attaquant Alan Joseph Gordon Haworth grandit à Drummondville d'où est également originaire son père Gordie Haworth, un ancien joueur de la ligue senior du Québec avec les Citadelles de Québec et les Braves de Valleyfield, qui joua également deux matchs avec les Rangers de New York dans les années 50 et plusieurs années dans la WHL. Après sa retraite, le paternel travailla au sein de la compagnie de bâtons Canadien, basée également à Drummondville.
Alan débuta son hockey junior avec les Saguenéens de Chicoutimi, où il joua deux saisons moyennes avant de passer aux Castors de Sherbrooke en 1978-79. Il explosa avec les Castors avec une récolte de 50 buts et 120 points en 70 matchs, ce qui incita les Sabres de Buffalo à faire sa sélection en 5e ronde (95e au total) du repêchage de 1979. Il demeura dans le junior la saison suivante mais ne joua que 45 matchs, récoltant 64 points. Durant ces deux années passées à Sherbrooke, il aida son équipe à se rendre à chaque fois en finale du trophée du président mais l'équipe s'inclina dans les deux cas.
Il débuta ensuite son parcours professionnel en 1980-81, d'abord avec le club-école des Sabres, les Americans de Rochester. Après 21 matchs où il obtint un excellent 14 buts et 32 points, Haworth fut rappelé par les Sabres pour terminer la saison. Jumelé par moments avec Gilbert Perreault, il amassa 16 buts et 36 points en 49 matchs et fut nommé recrue de l'année chez les Sabres. Il s'imposa également en séries avec 4 buts et 8 points en 7 matchs.
Il régressa toutefois légèrement durant sa deuxième saison avec 39 points en 57 matchs et fut parfois rétrogradé dans les mineures. Les Sabres perdirent rapidement patience dans son cas et l'envoyèrent aux Capitals de Washington en retour de deux choix au repêchage de 1982. Aucun de ces choix n'aboutirent à grand chose au final.
À Washington, Haworth devint un joueur fiable et y joua durant cinq saisons. Rapide et possédant un puissant tir frappé, il était également sous-estimé comme fabricant de jeu, alors qu'il passa la majorité de ses années à Washington sur la 2e ou 3e ligne. Il était également versatile, pouvant jouer au centre comme à l'aile droite. Sa production oscillait autour de 25 buts par saison, mais il connut une certaine progression en 1985-86 avec des sommets en carrière de 34 buts et 73 points. Il se blessa au genou la saison suivante mais était en voie de connaître une saison similaire avec 25 buts et 41 points en 50 matchs.
Vint ensuite le repêchage amateur de 1987, qui eut lieu à Detroit le 13 juin 1987. Les Nordiques de Québec volèrent la vedette lorsqu'ils envoyèrent leur joueur vedette de longue date Dale Hunter, ainsi que le gardien Clint Malarchuk aux Capitals en retour d'Haworth, de l'attaquant Gaétan Duchesne ainsi que du 1er choix des Capitals à ce repêchage. La transaction ne fit pas l'unanimité chez les journalistes et les fans des Nordiques, alors que Hunter était un des joueurs les plus populaires de l'équipe et il se plaisait à Québec. Hunter était même présent au repêchage ce jour-là et il avait peine à contenir ses émotions devant les journalistes. Certains disaient que les Nordiques avaient perdu le cœur de l'équipe avec le départ de Hunter et avec du recul, cette transaction marquait le début d'une longue traversée du désert pour l'équipe qui ratera les séries lors des cinq saisons suivantes, et qui se départira du reste de ses joueurs populaires comme Michel Goulet et Peter Stastny dans d'autres transactions contestées...
Le Soleil, 14 juin 1987 |
Cependant, avec encore plus de recul, les Nordiques retrouvèrent un nouveau ''cœur'' dans cette transaction car il utilisèrent ce premier choix des Capitals, le 15e au total, pour repêcher leur futur capitaine et supervedette pour les 20 années suivantes, Joe Sakic. Plusieurs recruteurs sur place le jour de cette transaction énoncèrent même que Sakic allait être meilleur que les deux premiers choix au total soit Pierre Turgeon et Brendan Shanahan, ce qui en rétrospective est probablement vrai. Shanahan termina avec plus de buts et de matchs joués que Sakic mais ce dernier fut un modèle de stabilité et de leadership pour la franchise Québec/Colorado et termina devant Shanahan au niveau des points, figurant d'ailleurs toujours au 9e rang avec 1651 points comparativement à 1354 pour Shanahan. Turgeon termina pour sa part sa carrière avec 1327 points. Et en défense supplémentaire pour les Nordiques, au moment de l'échange, Hunter était ennuyé par une blessure à la jambe qui mit fin à sa saison 1986-87 où il ne joua que 46 matchs. On parlait même que cette blessure allait peut-être mettre fin à sa carrière ou du moins diminuer grandement son rendement.
Mais pour revenir à Haworth, il était également avantageux pour les Nordiques d'obtenir lui et Duchesne dans la transaction car il serait plus facile pour eux de convaincre deux joueurs québécois à rester dans l'organisation et non pas un autre anglophone récalcitrant qui n'aurait pas voulu rester longtemps à Québec, un problème récurrent dans l'organisation durant ces années-là. Les Nordiques désiraient apparemment faire son acquisition depuis de nombreuses années et voulaient même le repêcher avant que les Sabres ne le sélectionnent en 1979.
Haworth écoulait toutefois la dernière année de son contrat en 1987-88 et les négociations n'aboutirent jamais avec les Nordiques. Il désirait soit recevoir un nouveau contrat plus payant ou être échangé à une équipe américaine pour payer moins d’impôts. Voyant la lenteur et le peu de progrès dans ses discussions avec les Nordiques, Haworth lorgna vers l'Europe à quelques reprises durant la saison. À la première journée après la fin de la saison, Haworth tourna le dos définitivement aux Nordiques et signa un lucratif contrat avec l'équipe du Berne SC dans la première division suisse. Les Nordiques tentèrent de le ramener lors des saisons suivantes mais encore une fois, il refusa pour gagner davantage d'argent en Suisse où il devint un joueur vedette de sa nouvelle équipe, avec qui il gagna 3 fois le championnat national et joua jusqu'à la saison 1991-92.
Durant cette même saison 1991-92, on vit apparaître une nouvelle formation sur la scène de la LNH, lorsque débuta la franchise des Sharks de San Jose. L'origine de cette équipe est en soi une histoire complexe et je vous invite à lire cet ancien texte pour en savoir plus. Mes recherches pour le texte d'aujourd'hui me permettent d'ailleurs de boucler plusieurs interrogations que je traînais depuis l'écriture de cet autre texte...
Mais brièvement, les propriétaires des nouveaux Sharks étaient les anciens propriétaires des North Stars qui reçurent en compensation une équipe d'expansion à condition de ne pas déménager les North Stars et de les vendre à un autre acheteur. Également comme compensation, ils avaient droit de choisir plusieurs joueurs du système des North Stars pour leur nouvelle équipe en plus du repêchage d'expansion traditionnel. Pour renflouer leurs pertes de personnel, les North Stars purent également participer à ce repêchage d'expansion, même s'ils n'étaient pas une équipe d'expansion...
Avec la dernière sélection disponible à ce repêchage hors de l'ordinaire, il ne restait aux North Stars que les Nordiques à qui prendre un joueur. Comme les Nordiques étaient à ce moment une équipe de fond de cave, il n'y avait pas grand chose d'intéressant à sélectionner pour le DG des North Stars Bobby Clarke. Sur la liste des joueurs non-protégés des Nordiques on retrouvait des joueurs comme Scott Gordon, Jeff Jackson, Miroslav Horava, Mario Doyon, Gerald Bzdel, Brent Severyn, Trevor Stienburg en plus des droits de deux joueurs exilés en Europe, soient le gardien Mario Brunetta, ainsi que Alan Haworth.
Clarke avait seulement de l'intérêt envers Haworth et tenta de le sélectionner. Cependant on retrouvait dans les règles de ce repêchage une règle selon quoi les équipes ne pouvaient sélectionner plus d'un joueur autonome, ce que Haworth était techniquement. Comme Clarke avait précédemment choisi un autre joueur autonome, Bengt-Ake Gustafsson des Red Wings, la ligue refusa la sélection de Haworth. Alors Clarke retourna à ses papiers et au bas de la liste des Nordiques on retrouvait également le nom de deux joueurs retraités soit l'attaquant Alain Côté (celui du but) qui était retraité depuis 1989, et également le légendaire Guy Lafleur, dont la deuxième retraite définitive était connue de tous. Lafleur n'était pas techniquement retraité car il n'avait pas encore signé un formulaire auprès de la ligue mais il avait déjà accepté un poste à la direction des Nordiques.
Si vous trouvez étrange que la liste de joueurs non-protégés des Nordiques incluaient des joueurs retraités, et bien ils n'était pas les seuls à avoir fait de même. Parmi les joueurs disponibles à travers la ligue on retrouvait entre autres Willi Plett (inactif depuis 1988), André Lacroix (1980), Bill Barber (1984), Brian Sutter (1988) et Marc Crawford (1989). Les Canadiens poussèrent même l'audace jusqu'à inclure les noms de Jean Beliveau, Yvan Cournoyer, John Ferguson, Pierre Mondou, Mario Tremblay et Ken Dryden! D'ailleurs Clarke et son entraîneur Bob Gainey durent être assez surpris de voir qu'ils étaient eux-mêmes disponibles sur la liste des Flyers et du Canadien respectivement...
Le lendemain de ce repêchage, les Nordiques envoyèrent les droits d'Haworth aux North Stars en retour de ceux de Lafleur, qui fut membre du Minnesota pour l'espace de 24 heures. Il pouvait ainsi passer de joueur à employé des Nordiques sans trop de complications administratives. Les principaux intéressés prirent le tout à la rigolade. Lafleur déclara ''Je suis flatté qu'on m'ait choisi avant Jean Béliveau et Yvan Cournoyer... J'ai compris la situation. Les Nordiques n'étaient pas pour offrir un joueur qu'ils risquaient de perdre pour rien. Dans mon cas, ils ne courraient aucun danger.''
Bobby Clarke déclara ''Je ne veux pas embarrasser les Nordiques mais il n'y avait personne qui m'intéressait à l'exception de Haworth''. Ce dernier déclara pour sa part: ''Dans 20 ans, la question fera encore partie d'un quiz quelconque: Quel joueur de hockey à été échangé en retour de Guy Lafleur à la retraite? Et bien ce joueur-là c'est moi!".
Cependant, à 30 ans, Haworth n'avait pas encore fait une croix sur un possible retour dans la LNH. S'il recevait vraiment un intérêt de la part de Clarke et des North Stars, il aurait considéré de revenir, de plus qu'il aurait eu la chance de revenir jouer aux États-Unis et qu'il s'ennuyait du niveau de compétition de la LNH. Il déclara également que les North Stars s'intéressaient déjà à lui avant ce repêchage. Il y aurait même eu des rumeurs pour qu'il signe avec l'équipe pour les séries de 1991.
Cependant une telle offre ne se matérialisa jamais et Haworth demeura en Suisse pour la saison 1991-92, suite à quoi il prit sa retraite après un dernier championnat avec Berne. Il joua également un match avec l'équipe nationale canadienne durant cette dernière saison.
Avec le club SC Berne |
Plus tard après sa retraite, Haworth devint entraîneur, tout d'abord dans la LNAH avec les Papetiers de Windsor (2001-02) et le Prolab de Thetford Mines (2002-03). Il retourna ensuite en Suisse comme entraîneur de différents clubs comme le EHC Olten (2003), le HC Innsbruck (2005-07) et également son ancien club, le SC Bern (2003-05). Il revint ensuite dans la LNAH avec Thetford Mines pour la saison 2007-08. Il est depuis de nouveau dans l'organisation des Capitals comme dépisteur, poste qu'il occupe depuis 2009. Il reçut une bague et une visite de la Coupe à Drummondville après la conquête des Caps en 2018.
En 525 matchs dans la LNH, sa fiche fut de 189 buts et 211 passes pour 400 points.
Sources:
Le coeur des Nordiques battra à...Washington, Le Soleil, 14 juin 1987
Haworth échangé entre deux bouchées de pizza!, Le Soleil, 16 juin 1987
''J'avais du respect pour Maurice Fillion'', Le Soleil, 19 avril 1988
''Je n'ai pas de comptes à rendre aux Nordiques'', Le Soleil, 19 avril 1988
Un grand intérêt pour Haworth, Le Soleil, 15 juin 1989
Les Sharks pourront repêcher Béliveau...et Guy Lafleur, Le Soleil 30 mai 1991
Clarke réclame Guy Lafleur, La Tribune, Sherbrooke 31 mai 1991
Une blague très sérieuse de Clarke, La Tribune, Sherbrooke, 11 juin 1991
Alan Haworth a partagé la coupe Stanley, Journal L'Express, 26 nov.2018
EliteProspects
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