Gérald McNeil est né à Québec d’un père anglophone
et d’une mère francophone du Nouveau-Brunswick.
C’est Mike McMahon, un de leurs joueurs qui avait déjà joué avec les As
de Québec, qui recommanda aux Canadiens de jeter un coup d’œil au petit gardien
(5’7’’). C’est ainsi que McNeil reçut
par la poste et à sa grande surprise, une convocation de Tommy Gorman pour le
camp de 1943 des Canadiens. Disons que
les méthodes de dépistage se sont un peu raffinées depuis…
Il se rendit donc à Montréal pour la première
fois de sa vie, où par un concours de circonstance, il n’y avait que deux
gardiens au début du camp, Bill Durnan et lui.
McNeil eut donc plus de temps de glace que prévu et il ne rata pas sa
chance. Sans surprise, Durnan eut le
poste avec les Canadiens, mais McNeil fut engagé pour jouer avec le Royal de
Montréal de la Ligue senior.
Au grand étonnement de Gorman, McNeil refusa d'abord l’offre, lui qui s’ennuyait de
la maison. Gorman fit donc intervenir
son père, qui souligna au jeune Gerry que les 3200$ que les Canadiens lui
offraient étaient beaucoup plus que ce qu’il gagna comme contremaître à
l’Anglo-Canadian Pulp & Paper. Gerry
se ravisa donc.
McNeil entreprit donc une longue carrière avec
le Royal, avec qui il remporta la Coupe Allan en 1947. Il faut dire qu’à l’époque, les équipes
n’alignaient qu’un seul gardien, de qui on attendait qu’il joue pratiquement
tous les matchs. Avec les Canadiens, ce
poste était occupé par Bill Durnan, qui remportait le Trophée Vézina à
répétition.
C’est toutefois en novembre 1947 que McNeil put
faire ses débuts dans la LNH. Au début
de la deuxième période, Bill Durnan fut coupé sérieusement au front par le
patin d’un adversaire. Comme c’était la
coutume à l’époque, McNeil était sur place au Forum, mais en civil. Lorsqu’il constata que Durnan n’était pas en
état de poursuivre, l’entraîneur Dick Irvin dut se résoudre à faire appel au
gardien d'urgence, c’est-à-dire McNeil.
Il enfila donc son équipement et on lui trouva un chandail, pour qu’il
puisse affronter les Rangers. La perte
de Durnan sembla déstabiliser les Canadiens, qui perdirent 5-2. D’ailleurs, le premier but accordé par McNeil
dans la Ligue nationale a été marqué par son propre coéquipier, Elmer Lach…
Au match suivant, Durnan n’était toujours pas
en état de jouer. McNeil affronta donc
les Bruins à Boston, où les choses se passèrent beaucoup mieux. Il soutira un verdict nul de 1-1 face à son
idole de jeunesse, Frank Brimsek. Il
retourna ensuite avec le Royal et dut attendre deux saisons plus tard avant de
jouer six autres matchs en 1949-50, où il fit bonne impression.
La suite fut inattendue. En séries, les Canadiens affrontèrent les
Rangers, qu’ils devaient battre facilement.
Ils se firent plutôt surprendre en perdant les trois premiers
matchs. Prétextant un problème de vision
suite à une blessure, Durnan alla alors voir Irvin pour lui demander d’utiliser
McNeil pour le quatrième (et peut-être ultime) match. Irvin s’y résigna donc à contre-cœur, mais
McNeil, qui éprouvait un grand respect pour lui, dut se faire convaincre par
Durnan lui-même. McNeil aida Montréal à
remporter ce duel, avant d’être éliminé au cinquième match.
Il s’avéra ensuite que Durnan avait subi ce
qu’on appelle aujourd’hui une dépression nerveuse. Malgré qu’il venait de remporter un autre
Trophée Vézina, il prit sa retraite et ne revint jamais au hockey
professionnel. Le poste revenait
maintenant à McNeil.
Il joua donc tous les 70 matchs de la saison
1950-51. Lors des séries, Montréal
surprit les puissants Red Wings au premier tour. McNeil eut plus que son mot à dire dans cette
victoire, puisqu’il passa 218 minutes et 42 secondes (incluant 103 minutes et
29 secondes en prolongation) sans accorder de but à Détroit. Bien qu’il ne s’agissait pas d’un record (il
y a eu trois séquences plus longues dans les années 1930), personne n’a fait
mieux depuis.
Le Tricolore se retrouva ensuite en finale
contre Toronto. Dans une série où toutes
les parties se décidèrent en prolongation, les Leafs l’emportèrent en cinq matchs. Le duel ultime fut décidé sur un but
légendaire de Bill Barilko. Ce but en
surtemps ne passa pas seulement à l’histoire parce qu’il donna la Coupe aux
Leafs, mais également parce que Barilko trouva la mort l’été suivant dans un accident
d’avion de brousse. L’avion (et les
restes de Barilko) ne furent retrouvés qu’en 1962, année du triomphe suivant
des Leafs. Une photo du dit but devint
alors célèbre et sur celle-ci, on retrouve un McNeil déjoué. Cette image « du gardien sur la photo de
Barilko » est probablement celle pour laquelle McNeil est le plus connu,
un fait qui l’a longtemps laissé plutôt amer.
Il préféra plutôt se souvenir de cette journée comme étant celle où sa
fille est née… Grosse journée!
À la fin de l’automne 1951, il se produisit un
autre événement qui montre comment il était attendu que les joueurs en général
et les gardiens en particulier jouent en toutes circonstances. La mère de McNeil souffrait d’un cancer à un
stade avancé. Lorsqu’elle rendit l’âme à
la fin décembre, son fils était sur la route.
Il battit alors les Wings le lundi et blanchit Chicago le mardi du jour de
l’an, malgré qu’il passa les entractes à pleurer dans la chambre. Il retourna ensuite à Québec pour assister
aux funérailles, avant de retourner à Montréal pour affronter Toronto le jeudi
suivant.
Sa jeune fille fut aussi malade au point
d’envisager qu’elle ne passerait pas au travers. Encore une fois sur la route, il prit l’avion
pour la rejoindre, s’assura qu’elle se stabilise, pour ensuite rejoindre
l’équipe.
Toujours au cours de cette même saison, il fut
atteint d’un coup de patin de Floyd Curry au front. (McNeil était petit et n’hésitait pas à se
lancer tête première, sans masque évidemment.)
En piteux état, on l’envoya à l’hôpital où on constata qu’un morceau de
lame était demeuré dans son front. On le
retira avant de le recoudre.
Quelques jours plus tard, McNeil constata qu’il avait une petite bosse
douloureuse sur son front. De retour à
l’hôpital, un rayon X confirma qu’il restait un bout de métal à
l’intérieur. On le retira et on lui
ajouta dix points de suture de plus. Malgré
tous ces événements, McNeil joua tous les 70 matchs de son équipe, qui se
rendit en finale, mais qui s’inclina contre Détroit.
Cet héroïsme n’a pourtant pas toujours été reconnu
à sa juste valeur. Le 29 octobre 1952,
alors que tous se demandaient si Maurice Richard allait surpasser la marque de
Nels Stewart et devenir le plus grand buteur de la Ligue nationale, McNeil
reçut une rondelle qui lui fractura et lui déplaça l’os de la joue, en plus
évidemment de le sonner. Ne voulant pas
abandonner son équipe, il assura que ça allait aller. Par contre, son visage enfla au point de lui
obstruer la vue. Les Leafs comptèrent
trois buts pendant cette période et deux autres dans la suivante. Après le match, Dick Irvin blâma McNeil pour
la défaite. Au lieu de célébrer son
record, le Rocket ne put s’empêcher d’enguirlander Irvin d’avoir été aussi
abject avec McNeil.
En 1952-53, les Canadiens avaient une attaque
plutôt ordinaire, mais McNeil veillait au grain. Il obtint 10 blanchissages, un sommet dans la
ligue, à égalité avec Harry Lumley des Leafs.
Montréal termina donc deuxième au classement, mais loin derrière les
puissants Red Wings. Au moment des
séries, Détroit trébucha et fut surpris par Boston. Était-ce la chance dont Montréal avait
besoin?
De leur côté, les Canadiens affrontaient les
Black Hawks, qui participaient finalement aux éliminatoires, après six ans
d’absence. Mais si on attendait McNeil,
c’est finalement Al Rollins, le gardien des Hawks qui s’illustra. Pendant ce temps, McNeil connut une mauvaise série, tout comme le reste de l’équipe. Après avoir remporté les deux premiers matchs
au Forum, Montréal échappa les matchs 3, 4 et 5. Sentant qu’il laissait tomber ses
coéquipiers, McNeil demanda à être remplacé par le jeune gardien des Bisons de
Buffalo, Jacques Plante. Ce fut perçu
comme un signe de faiblesse, un peu comme ce fut le cas pour Durnan quelques
années auparavant. Plante remporta le
match six. Ensuite, McNeil se blessa à
l’entraînement, laissant Plante guider Montréal vers la finale, contre les
Bruins.
Les Canadiens remportèrent le premier match,
mais Plante eut un mauvais match lors du deuxième et Irvin ramena alors McNeil. Les Canadiens remportèrent ensuite les trois
matchs suivants, incluant le dernier en prolongation, par la marque de 1-0, où
McNeil a bien sûr excellé. Il concluait
alors une saison éprouvante avec un duel de gardien qui tourna à son avantage,
et la Coupe Stanley.
Comme c’était son habitude, il passa ensuite
l’été à vendre des voitures chez un concessionnaire Buick, puisque la plupart
des joueurs à cette époque avait un emploi d’été.
La saison 1953-54 débuta bien, mais à un moment,
McNeil se blessa à la cheville. Irvin
fit alors appel à Plante et devant le brio de son jeu, il continua de l’envoyer
dans la mêlée, même au retour de McNeil.
Plante prit également le filet pour les séries, où Montréal balaya
Boston. La finale opposa donc encore
Montréal et Détroit.
Lorsque les Wings prirent les devants 3-1 dans
la série, aidés par des performances ordinaires de Plante, Irvin décida de
revenir avec McNeil. Celui-ci répondit à
l’appel avec une victoire de 1-0 en prolongation. Satisfait de sa performance, il sortit de la
patinoire en souriant. Toutefois, Irvin
voulut encore jouer à ses petits jeux psychologiques en disant à McNeil de
cesser de sourire, puisqu’il avait mal joué et que sa technique était
déficiente. Insulté, McNeil se dit alors
qu’une fois les séries terminées, il ne jouerait plus jamais sous les ordres d’Irvin.
Il
en conserva une rancœur envers lui pendant longtemps.
Montréal remporta le sixième match avec McNeil
devant le filet, forçant la tenue d’un ultime duel.
Âprement disputé, le match couronna finalement
les Red Wings, qui l’emportèrent 2-1 en prolongation. Pour la troisième fois en quatre ans, la
Coupe Stanley s’est joué au cours d'un match qui s’est terminé en prolongation et lors
de ces trois matchs, Gerry McNeil était devant le but. La défaite a toutefois été particulièrement
émotive pour lui.
Suite à son épuisement émotionnel, McNeil
emprunta la même voie que Durnan avant lui.
Même s’il n’était âgé que de 28 ans, il décida que c’en était
assez. On tenta de le convaincre de
revenir sur sa décision, mais il refusa.
Il tint donc parole et ne joua plus jamais pour Dick Irvin. Il prit sa
retraite et préféra aller gérer une station-service Fina.
Toutefois, la paie était beaucoup moins
intéressante pour celui qui avait une famille à faire vivre. De plus, la saison de McNeil loin des
patinoires s’avéra la dernière d’Irvin à Montréal. Une fois remplacé par Toe Blake, ce dernier
convainquit McNeil de revenir dans un poste avec moins de pression, soit avec
le Royal. Il pouvait ainsi servir de police
d’assurance derrière Plante. Cette
occasion se présenta en 1956-57, alors qu’il joua neuf parties avec le
Tricolore.
Il joua ensuite deux ans dans la Ligue
américaine avec Rochester, puis un autre avec le Royal, avant de disputer sa
dernière saison en 1960-61 dans sa ville natale, avec les As de Québec.
Après sa carrière, il travailla en vente,
d’abord dans la région de Québec, puis à Montréal. Il passa entre autres de nombreuses années au
service de Seagram. Il développa d’ailleurs un problème d’alcoolisme, qu’il
parvint à surmonter.
Comme plusieurs joueurs de son époque, c’est au
début des années 1990 qu’il reprit contact avec l’organisation, suite aux efforts de
Ronald Corey pour montrer de la reconnaissance envers les anciens.
En 2000, il fut l’un des porteurs aux
funérailles de Maurice Richard avec Ken Mosdell, Ken Reardon, Elmer Lach, Jean
Béliveau, Dickie Moore, Émile Bouchard et bien sûr son frère Henri.
C’est en 2004 qu’un cancer l’emporta, à l’âge
de 78 ans.
Sources :
McNeil, David, In the Pressure of the Moment, Remembering
Gerry McNeil, Midtown Press, 2016, p.15 à 21, 36 à 38, 63 à 67, 92 à 127,
135 à 139, 167 à 182, 191 à 200, 208, 230,
hockeydb.com, wikipedia.org.